dimanche 12 décembre 2010

Le Cureteur à Piston - 7

Jeudi 29 octobre 2009
Je vais beaucoup mieux ce soir. J'ai un peu discuté avec Laurine sur Internet, raconté pour Justin, pour mes blacks-out. On est protégés, derrière un écran, c'était plus simple. Après tout elle s'est aperçue que j'étais amoureuse bien avant moi. Je ne pouvais tout simplement pas parler avant. Je le déplore sincèrement, elle a l'air si distant depuis l'ouverture du trash up. Quand je suis sortie avec elle, tout à l'heure, il y a eu des moments de grâce, des moments ou je me sentais acceptée, que mon rôle était même requis, d'une certaine manière, dans ce manège avec Justin et Charles. Et j'oublie le reste. J'oublie toutes les choses quand Justin m'embrasse. C'est très déstabilisant de voir un tel gouffre dans un baiser, ça vous remonte aux recoins les plus lointains de l'être. Que ce soit trop ou pas, je veux me noyer dans ces yeux. Lorsque cela est assez fort, je n'ai même plus du tout peur en fait.

Muriel était un peu endormie le soir où Marie-Line commença la rencontre en demandant à un des membres comment se déroulait son expérience. D'une voix forte et sans agressivité, elle arrivait à faire parler tous les bénévoles. Muriel se disait qu'on était pas loin d'une assemblée des patients. Elle réfléchissait, pensait que c'était pas mal cette méthode de faire un avec son sujet, comme dans les films avec les tueurs en série. C'est làque Marie Line choisit comme de par hasard de dire qu'il fallait savoir se protéger des présences.

Muriel sortit de ses réflexions et pris la parole à son tour:

« Oui je vois tout à fait ce que vous voulez dire. Quand j'ai tous ces yeux braqués sur moi, enfin pas tout le temps, mais bon, ils risquent de beaucoup de me voir, moi ce que m'arrivent d'eux c'est toute la douleur qu'il y a dans leur absence, c'est peut-être les médicaments qui font ça. Enfin j'en arrive à ne plus penser qu'ils ne sont pas fous. Enfin, pas tant que cela du moins. »
« C'est normal que cela fasse peur. Cela ne doit pas vous empêcher de garder ce lien avec leur réalité renouer le contact avec elle, et les y amener. Vous ne croyez pas? »
Muriel plissa le font de tant regarder Marie-Line. Elle s'imagina la chasteté de cette femme et chercha un instant le lien avec le fait qu'elle fût si sûre de ses paroles. Au-delà de la sensualité. Pourtant Marie-Line ne portait pas de voile, on remarquait si on faisait attention, qu'elle était un peu sérieuse et pas très maquillée c'est tout. A part ça elle bougeait à travers l'espace et sa peau touchait l'air avec peut-être même un peu plus d'intensité que n'importe qui. Elle n'entendit pas son téléphone sonner, il fallut que sa voisine lui tapote l'épaule pour qu'elle se ressaisisse, s'éloigne sans rougir, mais la tête baissée vers son sac, qui contenait son portable. C'était un texto de Justin qui disait : « Rejoins-moi vite petite souris, on est au Trash up ». Le groupe produisit un crissement de chaise en se dispersant, chacun de nouveau absorbé par la route à faire pour rentrer, ou sortir...

samedi 20 novembre 2010

Le Cureteur à Piston - 6


Muriel faisait son possible pour se tenir fièrement devant l'enseigne du Trash-up. La nuit était si électrique que le calme qui y persistait semblait plus artificiel que les lampadaires ou les silhouettes trébuchantes, de trottoirs en caniveaux, qui dépassèrent Muriel et s'éloignèrent, enfouis dans leur bande. J-C derrière le bar, avait pris un sacré coup de vieux en quelques semaines, il se voutait sensiblement sur les bouteilles, et quelque chose dans le pli de son menton ne disait rien qui vaille. Muriel revint de sa pause cigarette et se rassit à la table carrée qui avait pris la place de la foule du soir de l'ouverture. On y jouait au poker, et les petits cris des perdants perçaient la chape de rock qui flottait sur eux. Il ne restait guère plus que la tension du jeu entre les consommateurs. Quand Muriel fut replacée face à l'entrée du bar elle distingua une collection d'objets indistincts étalés sur le mur. Elle n'ose pas poser la question à J-C ou à Laurine, mais elle les scruta avec attention depuis sa place, tout en continuant la partie qui se lassait un peu avec l'heure et l'état d'ébriété des participants.
Elle distingua des couteaux, de nombreux couteaux en fait, une magnifique collection soignée, avec des modèles et des tailles de toutes sortes. Certains étaient précieux par leur matière, d'autres par la forme qu'on leur avait donnés, variant de la simplicité déconcertante et pure du métal au savant mécanisme formé d'enchevêtrements inattendus. Muriel n'eut pas vraiment le temps de satisfaire son envie d'examiner ce dernier instrument de plus près, car le patron se leva et tira un rideau sur le mur, dissimulant la collection et lança un disque. Pour faire diversion bien sûr se dit-elle en haussant intérieurement les épaules tout en trouvant l'attitude de JC d'une logique très faible.

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Dimanche 25 octobre 2009.

Je suis comme qui dirait un poil inquiète. J'ai fait, ce qu'on appelle communément un black-out la nuit dernière... On aurait foutu un truc dans mon verre? En tout cas je me suis réveillée toute propre dans mon lit, et ça c'est bizarre, sans gueule de bois. Fâcheux pressentiment, d'habitude ça n'arrive qu'aux autres. Et en essayant de rassembler les fragments éparpillés de ce qu'il reste de cette ellipse, les reflets se croisent et se contredisent. J'étais avec Justin et Laurine, évidemment. Mais les évidences ne sont jamais des certitudes. Je pourrais bien avoir baisé avec n'importe qui, parlé latin au milieu de la seine ou volé un taxi. Bon, je vais pas en faire tout un fromage on verra bien ce que raconteront les autres.
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Muriel retournait toujours à son cours à l'HP qu'il vente, qu'il pleure ou qu'elle ait une partie de son emploi du temps disparu dans l'air de sa mémoire. Son assemblée de petits soldats couturiers étaient bien fidèles, eux. Il faut dire qu'ils n'avaient pas le choix. Alors elle maniait l'aiguille en pilotage automatique. La vielle dame l'interrogea du regard. Elle était si absente et raide, cette soudaine force d'attention vers elle la réveilla pour un centième de seconde. Elle propulsa son ouvrage à ses pieds dans un fracas froid qui firent se dresser des têtes au regard avide. Elle se confondit bien en excuses, rangea ses affaires et réussi même à s'éclipser sans se faire remarquer vraiment.

jeudi 11 novembre 2010

Le Cureteur à Piston - 5

"Ben alors choupinette! Tu m'as plantée samedi!
-Arf, excuse-moi Laurine.
-Alala! Allez, rentre va!"
Laurine poussa gentiment Muriel à l'intérieur du Trash Up. C'était un soir de semaine tranquille au bar, avec seulement quelques clients calmement absorbés par leur verre et la musique en demi sourdine. Une table ronde prenait presque toute la place au milieu de la pièce, formant un équilibre étrange avec le grand mur à posters et le bar sur la gauche. Justin qui y était accoudé fit un signe de la main à ses amies.
"T'inquiète pas pour lui, il est tout cuit. Encore une heure et il est à toi."
Muriel s'appliqua à pouffer comme si elles parlaient de tout à fait autre chose.
"Passons aux choses sérieuses. J'ai dû commencer sans toi.
-Oh c'est pas grave tu sais, t'es vraiment meilleure que moi à ce niveau. Et puis bon avec les cours de couture et tout.
-Tu rigole! C'est pas long, deux heures tous les deux jour! Et tu crois que je fais comment moi avec la fac?
-J'en sais rien
-Bon, tout cas ça à l'air de marcher fit Laurine avec un sourire entendu.
-Fais gaffe quand même Laurine...
-Oh ben ça va, si on a pas le droit de le prendre le droit quand on a notre âge, la liberté et la beauté! Et rappelle-toi qui a eu l'idée la première? Hein?
-Bien, j'admets. Et c'est vrai qu'il vaut mieux faire ça bien. C'est pour ça que je viendrais à la prochaine cérémonie.
-Coool. Et maintenant, vaquons à notre féminine tâche de petite sorcière ma chérie! "

Muriel plongea son nez dans sa bière pour faire voir ses cils battants à Justin toujours au bar. L'été dernier, c'était si loin déjà.
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Mercredi 21 octobre 2009

J'ai la tête dans le brouillard complet et j'arrête pas de repenser à cette nuit, bien que penser soir un grand mot dans ce cas. Parce que oui, Justin. Forcément. Parce qu'il y a, on dirait bien, le début de quelque chose d'inexplicable entre nous deux, la preuve, rien que la douceur de ses caresses me font crier. J'espère bien que derrière son visage apaisé, lui qui l'est si rarement d'ailleurs, il réalise un peu tout ça. Ça va être bien compliqué à gérer, en plus du reste. Rien à foutre, je suis heureuse et je vais rêver à lui toute la journée. Bon, je dois y aller, HP et réunion au centre. J'y crois pas, que le bénévolat m'oblige à me lever.
Laurine est encore partie dans son délire hier soir. On sait jamais si c'est pour se la raconter devant les autres ou si elle est vraiment sérieuse. Enfin, elle me laisse entendre qu'elle compte sur moi. C'est vrai que en réalité, en théorie, je m'y connais plus qu'elle, c'est depuis que j'ai eu le malheur d'en parler qu'elle en a fait une obsession. Le pouvoir de la femme, et tout le bordel. Et oui, on le sait bien, hystérie et sorcellerie, tout ça va ensemble n'est-ce pas, il faut juste faire la transformation. Ce serait en quelque sorte une juste continuation de tout mon travail, enfin la pratique. Parce que bon, la couture... Ça reste bien léger.
J'espère que ma mère le croisera pas quand il sortira de la chambre, ce serait gênant. Pour le moment, il dort comme un mort. Je commence déjà à me prendre la tête, on se sent si seule face à l'anéantissement d'un homme... Je lui laisse un mot ou pas? Pas le temps d'appeler Laurine pour lui demander la meilleure solution.
Il est si secret Justin, son silence m'excite et me repose en même temps. Comment je me suis débrouillé pour me retrouver avec un mec aussi vite, au mépris de la logique et des critères? Oui, je vais lui écrire les baisers qu'il ne sent pas sur un bout de papier, et m'envoler. Magie ou pas, je dois me retrouver seule pour ce soir, m'occuper de ma pomme.

jeudi 21 octobre 2010

Le Cureteur à Piston - 4

Lundi 19 Octobre 2009
Aujourd'hui c'était le deuxième cours de couture. Je leur apprend à faire un stupide short mon dieu que c'est long et pénible! Je dois dire qu'on s'amuse bien l'un dans l'autre, même que je commence à m'attacher, comme si je retournais un peu là-bas. J'avais un peu oublié cette sensation bizarre de l'hôpital avec son côté rassurant en même temps qu'inquisiteur. Bien sur, j'ai la chance de ne pas subir la réclusion, les infirmières sur le dos ni la sécheresse des rappels du couvre-feu des médocs et de la cantoche. Sans tous ces désagréments, je ne peux pas prétendre bien longtemps qu'on est dans le même bateau. J'ai du mal à parler d'eux ici. Ils se mélangent dans ma tête, et je pense aussi à tous ceux du monde du dehors qui sont en eux-mêmes. Et ceux qui sont du dehors dans ma tête à moi. Finalement, la bête impression qui revient: d'être ni de leur monde ni d'un autre, chacun dans le sien, comme on se dit tous dans les stations de métro. C'est ça notre réalité commune, quand on reconnait tous en même temps qu'on a rien à voir, c'est vrai y a rien à voir dans les stations de métro. De temps en temps une belle personne, mais que nous importe car elle passera son chemin, je passerais le mien. Le temps s'arrête pour certains et c'est toujours ce que je guette. Une goutte d'éternité dans le mouvement amplifié de ces groupes. Sans ces gouttes je ne suis rien. Je ne sais pas comment font les autres. Selon ma théorie, ils devraient faire pareil, sans rien dire. Mais il n'existe sans doute aucun moyen de vérifier cela. Je me surprend en train de marmonner et de souffler au rythme des phrase bancales que j'écris. M'en fout d'avoir mal au poignet. Décidément je me maquille trop en ce moment. Une fois qu'on a commencé il faut toujours plus. Demain je mettrais ma nouvelle robe, c'est le moment.

lundi 11 octobre 2010

Le Cureteur à Piston 3 bis


Vendredi 16 octobre 2009
Je sais plus pourquoi j'y suis allée habillée comme une pute en plus. J'étais comme les autres, et pourtant je me suis prise au jeu. Je n'avais même pas envie de partir. La bière donne de si beaux yeux à Justin. Une fois ou deux, j'ai bien cru qu'il allait m'embrasser, si seulement on avait eu plus de temps. Mais non, je dis n'importe quoi. Enfin, je vais pas me mettre à cracher sur le « trash up » parce que peut-être bien que grâce à cet endroit minable, je vais avoir une vie sociale. C'est ce qu'on me conseille en général, ça et d'écouter un peu les gens. Et effectivement il n'y a pas que du mauvais qui en ressort.


Muriel tenait un grand morceau de tissus bordeaux devant son visage. Dans la salle une assemblée d'adultes de toutes les corpulences était disposés quatre par quatre à des tables d'écoliers. Une seule chose les réunissait ici: ils étaient du côté du dedans, du côté de ceux qu'il faut réparer si on le peut. Ils étaient aussi divers que les passagers lorsque l'on monte dans une rame de métro mais ils avaient un commun dans le regard une chose qui passait aussi comme un orage dans les yeux de Muriel. Le regret, la violence, la peine, la peur et la fureur. Mais ils restaient tranquilles de comportement et découpaient leurs tissus chamoirés avec des ciseaux à bouts ronds, une hésitation et une précipitation particulière à chacun. Il y avait ce blond squelettique, dont on ne savait rien sinon qu'il avait laissé tomber un jour en thérapie de groupe qu'il était peintre. Depuis il ne parlait plus, sauf pour dire oui non bonjour ou juste pour sourire. Il y avait cette dame froide et digne, simple avec ses longs cheveux ordonnés et ses larges robes d'un autre âge. Celle-là avait une telle maitrise des torrents d'angoisses qui lui passaient dans les mains que tout son corps semblait sur le point de tourbillonner au milieu de la salle. Muriel ne pouvait pas cesser de la fixer du regard. Il y avait aussi une jeune femme au visage ingrat de mongolienne qui s'appliquait autant à essayer d'égayer Muriel et ses voisins de tables qu'à essayer de coudre. Muriel se demanda se qu'elle faisait-là et pour vérifier, elle alla se placer entre la dame et la mongolienne. Là, c'est à la femme d'un autre temps qu'elle adressa la parole n'osant pas troubler le bavardage de l'autre, qui après tout représentait en quelque sorte la seule source de vie de cette pièce. « Moi y compris » se dit Muriel accablée.
« Vous vous en sortez particulièrement bien. »
La dame se redressa avec un plissement des yeux pacifique pour que Muriel s'assoie près d'elle.
« J'ai souvent cousu dans ma vie, j'ai donc été enchantée lorsque j'ai appris que vous proposiez un atelier. »

Elle coupa le fil d'un coup sec puis brandit les ciseaux utilisés avec une férocité précise dans la direction de Muriel.
« Ma petite, vous pouvez me croire, il n'est pas loin, pas loin du tout. Ça va être exceptionnel, vous pouvez me croire. »
Muriel comprit d'un seul coup pourquoi cet oiseau de mauvais augure était là. Il valait mieux ne pas se laisser emporter par l'atmosphère empuantie de ces lieux qui sont clos par de bonnes raisons. Tant et tant de délires illimités, de grands plongeons dans le rêve sans fin de l'intérieur. Surtout, savoir rester à sa place, tout cela a beau être vrai, d'une certaine réalité disons, savoir voir le mur entre eux et soi. Après tout, Muriel avait autant besoin d'eux que eux d'elle, non?

vendredi 1 octobre 2010

Le Cureteur à Piston - 3

Muriel avait choisi de porter à ses risques et périls une jupe très courte et son manteau en fausse fourrure. Un truc ressortit du placard qui faisait fureur cette saison là. Elle aurait pu paraître vulgaire mais le sérieux de ses yeux empêchaient toute méprise, aucun homme n'osait en réalité l'importuner. Des volutes montaient des bouches d'égouts et la lumière des lampadaires était tamisée par l'humidité, on ne se serait pas cru au XXIe siècle dans la rue Beausire. Elle décrocha son casque d'i pod de ses oreilles sans abîmer sa coiffure crêpée et écrasa sa cigarette d'un geste étudié. Du bar s'échappait un ronronnement grave avec coups de caisse claire. Elle tira le bois de la porte avec une force surestimée, nerveuse et décidée. Cela faisait si longtemps.
La salle se révéla minuscule, comblée d'un bar et de tabourets dans tous les sens. Des jeunes devant, des jeunes derrière, et elle. Un garçon et une fille se jetèrent sur elle et l'embrassèrent. Justin apparut derrière eux et lui donna un verre pour qu'ils puissent trinquer ensemble. Son sourire malicieux tirait fort bien parti du décor qui le lui rendait bien. D'ailleurs il n'y avait pas de décor, juste un peu de patine pour qu'on eut pu se croire dans un pub, tout l'art avait été de changer le moins de choses possible. Muriel se trouva un tabouret et entreprit de se laisser pénétrer par cette ambiance qu'elle se persuadait d'être étonnante. Justin lui parlait et elle souriait. Elle n'osa pas lui dire qu'elle n'entendait pas, à cause du rock. Elle faisait semblant et fini par trouver ça réellement drôle en s'accrochant aux quelques mots qu'elle pouvait attraper au vol.
Le barman jonglait et ne prenait pas une seconde de repos, parvenant à actionner sa tireuse tout en contemplant d'un air satisfait et paternel sa toute nouvelle clientèle. Grand et maigre il avait plus d'âge que les gamins du bar et tolérait gentiment toutes les petites agitations qu'amènent l'alcool et la jeunesse, comme si il avait toujours nagé dedans, d'ailleurs c'était sûrement le cas.
Muriel se retrouva dehors avec Laurine, pour fumer une cigarette et taper la rue de leur bottes pour se réchauffer.
"-Ça va être un chouette endroit ici.
-Enfin un bar à nous! Au fait t'as vu Charles...
-Ouais ouais j'ai cru remarquer. Vous avez l'air content.
-Carrément. Bon, je me méfie un peu mais on fait déjà des petits projets et tout.
-C'est vraiment génial. Par contre je dois y aller là, je suis censée être demain matin à l'HP pour le premier cours de couture.
-Tu me fais trop rire toi! Leur donne pas tous nos trucs par contre hein poulette?
-Nan t'inquiète tout ce qu'ils veulent c'est se distraire un peu. C'est parfois bien plus utile que les docteurs les occupations inutiles et les bavardages. Enfin, ça l'a été pour moi.
-Ouais, enfin le top c'est quand même un mec!" et joignant le geste à la parole elle entreprit de rouler une grosse pelle au sien.
"-Bon j'y vais cette fois." conclut Muriel
Et, après avoir fait la bise à son Justin, elle s'en retourna, vissa son casque sur sa tête, et tourna les pieds, le visage dur.

vendredi 24 septembre 2010

Le Cureteur à Piston - 2


Jeudi 15 octobre 2009
L'hiver est arrivé aujourd'hui et le froid m'a eue par surprise. Je pense que je couve quelque chose. Je suis arrivée à la bourre à la première réunion des débloks hier soir. J'ai rien à foutre, je suis au chômage et je trouve le moyen de foirer. De toute façon, depuis que cet enfoiré s'est décidé à me plaquer et que je suis retournée chez ma mère, tout marche de travers. Je sais bien que je suis censée rebondir. D'ailleurs il ne me manque même plus. C'est pour ça que je me suis inscrite chez eux. Non, je ne pense pas rencontrer l'âme sœur à l'HP, mais au moins je serais un peu occupée. Je verrais des gens pires que moi, je pourrais laisser se démêler des lambeaux de ma cervelle en me demandant comment des lambeaux peuvent sortir d'un truc creux. Eh oui je vais aller à cette soirée où m'a invité Justin, pour ça aussi. Les lambeaux.

vendredi 3 septembre 2010

Le Cureteur à Piston - 1

Muriel avait fini par considérer sa foi comme une arme secrète. D'une famille traditionnelle de Paris, elle avait subi avec patience et lucidité les démembrements de ce début de siècle et s'était vu contrainte de fuir par la pensée les convictions qui tombaient les unes après les autres. Sa foi était son ressort caché, bien plus que sa beauté dont elle ne pouvait contrôler les effets. Son histoire commença en automne, jour où elle se rendit pour la première fois à l'assemblée d'une équipe de bénévoles dédiée à l'animation dans les hôpitaux psychiatriques publics. Fondée par la sœur Marie-Line, religieuse d'un ordre moderne, le groupe des débloks rassemblait des paumés qui avaient trop de temps libre, des gens qui pensaient qu'aux frontières de la santé mentale se trouvaient les réponses aux limites de cette société sans but.

Elle était chargée de lourds cabas de BD et de matériel de peinture, le soir tombait et elle remontait le canal Saint-Martin et ses mortes eaux grises. Elle était un peu embarrassée par ses talons hauts mais elle n'allait pas pour autant abandonner ce rempart de féminité. Les tendons de ses bras fins tirés par sa charge elle cliquetait tant bien que mal, évitant les regards, la population qui changeait à dix-neuf heure, les derniers travailleurs se pressant toujours sur les rives où les traînards chelous et les sans domiciles fixes se réunissant passé septembre, passé six heures du soir. L'agitation baissait au fur et à mesure de son avancée, alors que les arbres de plus en plus nombreux se déployaient dans les gaz empoisonnés des voitures collées entre elles. Des bancs se succédaient avec une fréquence moindre. Certains vides, d'autres envahis par des groupes qu'elle ne regardait pas, ou un vieux triste à qui la promenade avait semblé plus longue que ses projections. Muriel avait pris cette détestable habitude parisienne de ne pas trop s'impliquer dans les regards croisés, surtout le long du canal. Mais elle possédait cette force de la fraction de seconde, où elle ne pouvait pas se soustraire à cette vie, même malade et raréfiée qu'on rencontre dans les rues.

Sur un de ces rebords, elle reconnut Justin regarder le jour finir, enfoncé dans son sempiternel imperméable.
-Alors petite Muriel, en route pour chez les dingues?
-J'en connais qui sont plus engagés sur la voie que moi! Répondit-elle en attrapant la bouteille de bière que Justin lui tendait, visiblement ravi qu'elle fasse un arrêt pour lui. Il entrepris de l'hypnotiser de sa chaude voix, et Muriel rêveuse s'assit et oublia un peu l'odeur de l'essence et de la pisse en fumant une cigarette. Près de Justin, on pouvait rêver les pieds sur terre, enfin sur les pavés, et la tête dans le ciel lourd. D'ailleurs la lumière était presque tarie. Avec un frisson la bière discount fut terminée, et Muriel se ressaisit.
-Oh zut avec tes histoires je suis carrément à la bourre maintenant.
Mais oui mais oui, file mini souris.
Et c'est ce qu'elle fit, petite rongeuse sans autre couleur que celui de ses joues rosies par l'effort et la gêne.

Elle déboula dans un petit couloir qui sentait le quatre quart et le café refroidi, entendis une voix filtrer de la porte au fond à gauche, passa dans l'ouverture. Soeur Marie-Line déambulait devant les chaises, où les participants sagement assis prenaient des notes, baillaient et jetèrent un œil de curiosité vite satisfait sur la retardataire.
« Bon en résumé, voilà notre plan d'action. Souvenez-vous que vous avez affaire à des gens qui s'ennuient. Ils sont en général bien conscients des aprioris qu'on peut porter sur eux. Vous n'êtes là pour sauver personne mais vous pouvez contribuer à créer un climat familier dans la jungle que représente un hôpital, qui concentre des personnalités fragiles se heurtant les unes aux autres. Il s'agit de leur faire oublier un peu les médocs, les docteurs toujours occupés, les infirmières qui leur parlent comme à des gosses. Bien, je vous dis bonsoir, n'hésitez pas à m'appeler où à m'envoyer un mail si vous avez des questions. Merci d'être venus » On s'attendait à une explosion d'applaudissement tellement Marie-Line était à l'aise dans son rôle d'animatrice. Elle eut même une petite esquisse de révérence avant de se retirer, ce qui énerva un peu Muriel.

jeudi 12 août 2010

Claire dans la Nuit - 7 et fin

Il me montrait les hanches de Claire se laisser emporter et guider avec la molle excitation qu'elle acceptait si bien et qui ressemblait tant au ressac marin. Elle repris bientôt ses esprits et sans arrêter de suivre le rythme initié par Tom lécha enfin mon sexe à petits coups et le pris dans sa bouche chaude. La danse de nos corps qui s'ensuivit était un crépitement de pure jouissance retardée. Nos caresses, nos grognements animaux que nous n'avions aucune crainte de trouver ridicules, étaient synchronisés vers le double but de prolonger cet instant et de le mener à sa fin terrible. Le frottement des nos peaux sur la pierre, cette petite douleur sans conséquence devant l'immensité du plaisir, se conjuguait avec le crissement des grillons, et la course des étoiles. Claire était comme une reine, sur ce carré noir, que nous entourions, les genoux dans la boue, ou allongés à moitié sur la stèle. Mais
elle se laissait transporter, suivant nos moindres gestes et laissait même nos bouches, nos mains se rencontrer, une fois ou deux.
Je n'étais plus que le prolongement du picotement merveilleux de mon sexe et alors
que je me disais que nous percions une brèche dans l'éternité, Claire poussa un cri plus rauque que les autres et Tom, immobilisé dans son balancement, les mains autour de ses hanches, grogna aussi. Alors, je ne pus plus retenir ma queue de se frayer un chemin, presque jusque dans sa gorge. La tête de Tom reposait à présent dans le creux de la nuque de Claire, dont les cuisses se détendirent par accoups; son souffle bruyant et soulagé, résonnait tout près de moi. Je me retirais en glissant contre ses lèvres et dans un frôlement merveilleux elle m'amena sur ses seins où je déchargeais ce qui me sembla être des siècles d'orgasmes oubliés.
Nous nous endormîmes lorsque les premiers rayons du soleil perçaient au-delà des
murs du cimetière, et ils n'étaient ni les uns ni les autres aussi loin que j'aurais pu le croire.
Claire laissa sa tête se poser contre mon torse, une main sur mes épaules, Tom avait le bras enroulé sur sa taille, la main sur mon genou. Je pouvais sentir les odeurs de leurs cheveux se confondre, leur respiration se calmer et s'approfondir, si bien que j'ai dû oublier la mienne.

Lorsque nous nous réveillâmes, nous étions seuls, Tom et moi. Au moins autant que cette nuit-là nous l'avions toujours été. Nous nous embrassâmes de ces baisers d'adieu qui ne goûtent plus rien, puis repartîmes, chacun de son côté.
Claire pouvait bien ne jamais avoir existé, et je dus abandonner l'amie rêvée de mes rêves, c'était mieux ainsi. Je ne suis revenu qu’une fois dans ce cimetière, c’était ce matin, pour elle que je n'ai jamais eu le courage de rappeler d'entre les morts .

mardi 10 août 2010

Claire dans la Nuit - 6


Un grillon répondit au soupir de Claire dont je vis la main s'abandonner, pendant que Tom lui prenait les seins, caressant. L'éclat que j'avais vu dans ses yeux croisa mon regard, nous sourîmes. Il serra sa taille dans un glissement qui la fit tomber à la renverse par magie, cambrée et cramponnée à ses épaules. Je vis la bosse sous le méchant pantalon. Sans me rapprocher, je tendis la main vers elle et je touchais l'extérieur de sa cuisse, juste là où, en dessous de l'os de sa hanche sa chair se faisait douce et molle comme un gâteau. Je m'aperçus que je bandais moi aussi, malgré l'envie déchirante que j'avais de m'éclipser de cette scène. J'avais plus peur de ce qui allait arriver, ou ne pas arriver d'ailleurs que de l'éventualité d'un vieux squelette décomposé refaisant surface d'une faille sous la terre odorante.
Je ne devais pas rester, après tout, ils en avaient l'un après l'autre et c'était leurs
chemins à eux qui les avaient conduits ici. De plus en plus de la peau blanche de Claire luisait sous la lumière fluorescente de la lune. La bouche de Tom parcourait cette peau de haut en bas, de bas en haut et je ne pouvais pas arrêter de regarder, pas plus que je ne pouvais l'arrêter, lui. Ma présence ne le dérangeait visiblement pas le moins du monde et ses membres tendus se dirigeaient à l'unisson vers l'abîme de Claire que lui aussi savait voir de loin, que lui aussi désirait visiter. Et je ne parle pas de son vagin. Du moins pas simplement. Assis sur cette stèle, empoté plus encore que je ne l'avais jamais été devant aucune fille, je réalisais que je ne partirai pas. Pour rien au monde. Claire laissa sa main frôler la mienne et son regard flotter vers le ciel. Tom faisais descendre sa culotte le long de ses jambes lisses, et pendant qu'il se redressait pour déboucler sa ceinture, je m'agenouillais de l'autre côté de la pierre, finis d'ôter son soutien gorge en passant sur ses épaules et ses poignets qui suivirent mon mouvement jusqu'à agripper mes cheveux. J'anticipais moi aussi les gestes de Tom qui manipulait le bassin de claire, lui écartait les cuisses avec attention, et ils me rappelaient les miens la nuit d'avant. Je n'avais plus que faire de l'aiguillon du désir qui torturait mon bas ventre, tout était si délicieux. Je fondis ma bouche dans la bouche entrouverte de Claire pendant que Tom s'enfonçait en elle en lui faisant jeter un petit cri. Des muscles dans son cou se rétractèrent, rendirent mon baiser encore plus électrique et la main de Tom entre la mienne et sa cuisse esquissa un va et viens décisif. Je continuais à baiser les lèvres de Claire, voluptueusement, frottais ses seins
glacés, les pinçais tandis qu'elle roulait ses hanches sur la pierre dure.
Elle gémissait fort dans ma bouche les yeux toujours vers le ciel, puis vers Tom qui se faisait plus vif à chaque mouvement, mais gardait une lenteur, comme une suspension, car il ne voulait pas briser le moment en venant trop tôt. Je n'y tenais plus. A mon tour, je défis mon jean. Je bandais comme jamais et Claire
le vit tout de suite, avec ses yeux gourmands. Tom le vit aussi, mon corps était dressé, et il se retira en gardant une main sur la chatte de Claire, introduit son pouce et le lécha en me souriant.
Là, il la tourna sur le côté, les fesses vers lui, le corps ondulant de Claire légèrement de côté et repassa ses doigts sur la fente. Claire pris ma queue, offerte entre ses
doigts et me serra la gland avec une énergie effrayante puis contrôlée, en faisant un anneau entre son pouce et son index. Je le rapprochais de sa bouche, et sentis son corps se cambrer encore. Tom, à genoux derrière elle me regardait sans sourire à présent et j'acceptais enfin de m'arrêter sur ces yeux si sombres, si tranchants.

samedi 31 juillet 2010

Claire dans la nuit - 5

Le poseur qu'il était se planta, assuré, sur sa bouteille avec un air moqueur.
Impossible de savoir si c'était envers notre réaction ou ses épanchements. Avec beaucoup d'à-propos, un corbeau, ou une corneille, je les confond toujours, lança le rire qu'il taisait. Claire ne sut pourtant pas cacher son hilarité et recueillit le cri avec une férocité qui me hérissa. Je n'avais pas d'histoire à raconter, mais elle me regardait, moi, la bouche fendue et le front illuminé. Je caressais du bout du pied les feuilles mortes enchevêtrée dans la boue.

« -Ben alors. Sans déconner. Je sais pas ce que je fous ici.
-TU veux dire là aujourd'hui ou là maintenant?
-La question a tout lieu d'être posée.
-Nous c'est parce qu'on vient souvent par ici.
-J'avais deviné. Dit le type en prenant entre ses doigts douteux sur le bas de la jupe de Claire. Il les retira.
Avait-il seulement esquissé un geste machinal? Après tout cette jupe était jolie avec sa fine bordure travaillée. Ou bien alors, mon envie s'était-elle seulement déplacée. Ou encore, jouait-il ce sombre jeu depuis que mon regard plongeait vers le sol? Tom essaya de briser la silence magnifique en récitant des vers.
« Vous connaissez?
-Bien sûr répondis-je. S'il y a un poète que je connais c'est bien lui »
Je ne voulais pas qu'il me prit pour un enfant. C'est vrai que cette nuit donnait une couleur toute neuve à ces mots tant de fois répétés. Ils nous contaminaient, faisait tressaillir nos organes, délicieusement. Et je l'interrompis.
« Et une bière d'expiation! », en sortant une bouteille de ma poche intérieure.

Claire me fit ses immenses yeux bleus comme si j'étais effectivement son sauveur.
Mais je n'y crus pas une seconde et me contentais de l'ignorer. L'autre repartit de son rire jovial et caverneux. J'aurais donné n'importe quoi à ce moment-là pour avoir une guitare et savoir en jouer. Elancer des accords à donf et dompter le vide qui suivait ma maigre blague. Je voulais colorer le malaise que je sentais venir, quand je regardais les doigt, que je devinais rugueux de Tom se faufiler dans les cheveux de Claire, du coin de mon oeil flou.

Parce que je sentais très bien que je n'avais ni la force ni l'envie d'arrêter quoi que ce soit. Mon coeur frappait violemment mes côtes, au moins aussi fort que celui de Claire, qui avait disparut des iris quant elle se détourna de moi, et devait se concentrer tout entier à l'endroit précis où le contact avait lieu. J'ai bien dû lui jeter un regard approbateur à ce moment-là, nous nous connaissions si bien. Je m'éloignais alors d'un pas, toujours assis, et avalais la moitié de ma bouteille d'un trait en priant que le liquide chaud et nourrissant entretienne les étincelles dans mon cerveau et reste au fond de mon estomac vacillant. Leurs bouchent se mêlaient quand j'eus avalé avec détermination mon breuvage. Se mêlaient et s'emmêlaient dans un rythme hypnotique et dérisoire, dans un détachement suave et insoutenable de sensualité.

lundi 26 juillet 2010

Claire Dans la Nuit - 4


« J'aime beaucoup rencontrer des jeunes comme vous. On vous voit presque toujours dans les endroits ou on vous cherche trop pour s'attendre à vous trouver. Et j'ai mes petites idées sur comment vous êtes arrivés ici. Mais en avez vous sur mon compte? Je vous avoue que je prends comme un miracle le fait d'être ici réveillé sur ces morts que j'aurais dû rejoindre il y a longtemps. Je jouais, vous savez, de la musique, comme un jeune con puis comme un con sur le retour, avant de devenir le vieux con que vous voyez aujourd'hui »

Comme pour le soutenir, sa voix se fit bizarrement chantante.

« J'ai vu les lumières de la ville, après avoir déserté ma campagne,. Mais les lumières de la ville ne m'ont pas réchauffé. J'ai plongé de froid dans les bras des filles ou inversement, cela revient au même. Je les faisait chanter, danser et vivre, et je n'en ai oubliée aucune, de la première enfant à la dernière dame, de mon plus cher amour, jusqu'à la dernière salope qui m'a attrapé un soir de solitude. Crasse soit-il de cette sorcière, d'ailleurs. Les femmes encore belles de quarante ans sont celles qui ont le plus faim me glissa-il avec un clin d'œil que je trouvais dégoutant. »
Là c'est Claire que je vis avoir un frisson. Elle avala une grande gorgée de la bouteille
noire.
« Il était tard dans le deuxième arrondissement de Paris, je n'avais pas dormi dans un lit depuis trois jours. Quand je la vis et qu'elle me toucha j'attrapais une gaule infernale. Me croirez-vous si je vous dis que je ne me souviens pas de son nom? J'aimerais vous dire qu'elle s'appelait Schéerazhade mais c'en était une autre. Cette femme me prit dans son lit et me rendit fou. Elle me donna cette poudre dorée qui fait chanter les vieux chanteurs sur vos disques préférés et me tendis le pire piège qu'on puisse imaginer. Je restais allongé, et laissait le rêve me pénétrer jusqu'à l'extase mouvante de la liberté. Nous faisions l'amour pendant des heures et des heures, et cette volupté ajoutée à l'autre dépassait tout, tant et
tant, que je n'ai jamais pu jouir quand j'en avais pris. Je pensais qu'elle avait besoin de quelque chose de plus, et je pensais que ce quelque chose, c'était moi. Mais visiblement J'avais eu tort, et bientôt, tous les plaisirs du monde me furent retirés. Je suis retourné quelques fois chez elle, et puis plus tard, je ne suis jamais revenu. »

jeudi 22 juillet 2010

Claire Dans la Nuit - 3

Un rire se joignit à ce monologue charmant. Claire rabaissa sa jupe d’un geste rapide mais négligent. Cinq pierres plus loin nous aperçûmes la lumière d’une bougie.
-Merde alors !
-On nous espionne ! je m’esclaffais.
-Tu crois que c’est un zombie ?
-Avec ce rire, je dirais plutôt un vieux vampire vicelard.
-Allez, on va le voir. Il aura peut-être un truc, nous on commence à être à sec déjà.
Je laissai tomber un oeil fataliste sur la demi-contenance de notre dernière bouteille.
-Déjà ?
Ses grands yeux désertiques hurlaient oui de toutes leurs forces. Il n'était plus tout
jeune, notre futur ami. Vautré comme un malpropre sur une vieille pierre, son rire sonnait comme du vomi. Claire planta ses fragiles genoux dans le terre mousseuse, la frimousse sous la figure du type.
« -Bonjour dit-elle
-Bonjour dit-il »
Il se redressa, ne la quittant pas des yeux, puis m'adressa à moi un regard endormi
et interrogateur.
« Là haut sur le bord de la route, le moulin des siècles tourne, tournent, les aiguilles de ton coeur. » souffla-t-il dans une haleine de bouche d'égout. Son visage était pourtant si pétillant que j'attrapais sans hésiter la bouteille sur laquelle il s'était hissé jusqu'alors comme un pantin, et qu'il me tendait désormais.
C'était fort comme une perceuse de bon matin. Claire but à son tour en rejetant sa tête vers les étoiles. Je ne lui avais jamais vu autant d'assurance. Me revinrent alors en tête toutes ses fameuses histoires, celles qu'elle me racontait dans l’ombre, jusqu'à me déchirer le coeur, alors que je la dévorais des yeux, comme un chien errant affamé. Celles de sa vie avant qu'elle arrive de son nulle part pour atterrir dans le mien, enfin celui qui avait été tel jusqu’à son arrivée. Une si longue vie, remplie de sang de larmes et de chant funèbres. Une si belle histoire, si interminable que je n'avais jamais cru qu'elle ne fusse autre chose qu’un conte. J'essayais de prendre sa main, mais elle s'envolait. Et, Tom, l'apparition en forme de punk, voulut raconter la sienne. Son écho rempli mes oreilles de l'humidité glacée de la nuit.

dimanche 11 juillet 2010

Claire dans la Nuit - 2


« Alors, ça t'excite?
-Ah ben c'est malin, tu m'as fait bouger. »
La brume avait fait place à un soleil frais et caché derrière des vagues buissons, je traquais une petite assemblée sombre, vêtue de noir, groupée derrière un trou marron. Je me demandais si mes clichés pourraient attraper leur tristesse ou alors faire revivre quelque chose de son objet.
« Je me demande pourquoi elle pleure la daronne. Tout le monde sais qu'il sautait la voisine
-Tu le connaissais?
-Non, et toi? »
Nous explosâmes de rire, les mains écrasées sur nos bouches. Claire fit voler ses cheveux sombres autour de ses épaules nues et se mit à danser entre les allées, en faisant balancer ses bras comme des serpents. Mon appareil pendait contre ma poitrine. Je n'osais jamais la prendre en photo, surtout quand j'en avais envie en réalité. La lumière passait derrière elle et j'étais certain que jamais cette beauté révoltante, qu'elle semblait n’ignorer qu'à moitié, ne serait égalée. Notre cimetière était encore feuillu. Les pierres anciennes, usées et moussues côtoyaient les neuves, polies, luisantes, mais déjà grises. En toutes saisons, les feuilles mortes couvraient le sol et l'herbe verte apparaissait par touffes. Le tout présentait l'aspect d'un chaos énigmatique, paisible. Je lui pris la taille entre mes mains et elle continua de tourner en gardant ses yeux bleus, presque blancs à la lumière, dans les miens, sauf quand il fallait bien qu'elle ramène son visage, pour suivre son corps.
« Allons-y » lui chuchotais-je, une fois que je réussis à la renverser haletante entre une dalle et un pot de fleurs bleues. Elle attrapa son sac mou, qu'elle avait laissé en tas discret et me présenta fièrement nos provisions pour la nuit: trois bouteilles de vin et une boîtes à bijoux remplie d'herbe. Et voilà comment nous nous retrouvâmes dans la pénombre, affalés et allumés, entre deux chênes. La nuit était tombée d'un coup sur notre conversation, comme si elle avait trébuché sur la colline.
« Adversité de l'absurde, balivernes biscornues, cicatrices caricaturales, démonstrations dissonantes, équilibres éthérés, fournaises faméliques, galipettes gargantuesques, hégémonies harassées, Insinuations indolentes, jacuzzi en jachère, kiprokos kapricieux, liquides légendaires, myriades masculines, noyau neuroleptique, obsession orbitale, potion pacifique, quantité quantique, ruine repentie, station surannée, taverne transie, unique usurpateur, ventre vagissant, white why x yellow zoo. »

dimanche 27 juin 2010

Claire dans la Nuit - 1

« Je ne connaitrai jamais cette fille », je me disais au moment où elle sauta du lit dans sa robe noire à dentelles. On faisait un bon commerce d’amitié, comme cela se produit parfois entre un garçon et une fille, mais elle avait l’art d’échapper à toute capture depuis nos premiers jeux à l’école, lorsque elle changeait les règles au beau milieu des parties de billes. « Sinon c’est pas marrant ». L’automne venait de pointer ses griffes mais nous avions encore droit à une petite portion de lumière avec un peu de brouillard, très approprié je me disais. Claire était ce genre de brune, qu'on sentait devoir rester éternellement jeune et sur laquelle l'injustice du temps planait comme un F16. Moi, eh bien, je n'étais qu'un jeune idiot qui se croyais déjà un homme, simplement parce que j'avais fourré ma queue dans cette petite cette nuit-là.
«-Bien bien, mon cher ami, me dit-elle en me jetant mon caleçon à la figure, il est temps que je fasse une apparition chez mes parents.
-OK poupée, tu me rejoins au dortoir? »
Je parlais du cimetière du village, je faisais le malin... On y passait toutes les soirées où personne ne nous en empêchait à y boire et à fumer. Dans la destruction consciencieuse qui caractérisait notre adolescence, nous pensions atteindre une sorte de « vérité » qui pourrait nous être précieuse, pour ne pas refléter le pâle paysage que nous présentaient nos aînés. Nous étions bien décidés à ne jamais honorer aucun de leurs futiles espoirs de relève.
Je faisais des photos, il fallait bien que je fasse mine d'une activité quelconque et je déguisais mon manque d'inspiration en volant la réalité. Par dessus tout, je préférais les morts: Ils ne demandent pas de droits et ne vous contredisent pas.

jeudi 17 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 7 et FIN


Elle plonge ses yeux dans la flamme et songe à comment ses pupilles à lui se rétractent en s’approchant. Elle voit rouge rouge elle boit la couleur comme un doux poison qui la réchauffe.


Elle est par terre, son verre est fini sous la lumière du lampadaire. Haha, elle est économique au moins. Elle tâtonne et sa main rencontre une lame. Elle la serre contre elle, la fait rouler sur son ventre, son cou, et l’embrasse avec ferveur. Sa présence est évidente et familière, son contact plus rassurant que toutes les mains qui se soient posées en étrangères sur elle. « Chère chère lame berce berce moi » murmure t-elle en la sentant au plus profond de son estomac.


Son lendemain c’est aujourd’hui. Enfin. Elle reste derrière la porte, assise en tailleur avec son disque préféré en boucle. Elle tient le couteau entre ses jambes repliées et se souvient. Du soleil sur la voiture, du rocher où ils lisaient, des silences et comment il est de dos dans la rue. Beau comme une fille comme on dit bêtement.


C’est lui.


Les mots sortent tout seuls à partir de maintenant. Les ailes ont repoussé, elle se dresse tendue et fière sa peau ne fait qu’un avec la pièce avec lui, avec la lame. Un flot de bouillasse se fraie un chemin entre ses lèvres crispées. Ce n’est pas elle, elle sait bien qui lui dicte ces belles saloperies d’horreurs sans nom. Disons qu’elle a apprit à la connaître, elle sait maintenant. Quelle tête il fait elle en a rien à foutre. Il pourrait très bien ne plus avoir de visage du tout, et c’est sans doute le cas. Comme c’est simple quand on se laisse guider, la force n’appartient à personne


La lame glisse la lame perce la lame déchire la lame hurle la lame saigne dans un éclat miraculeux. Elle peut même s’imaginer dans ce bain noir rouge bordeaux à la senteur puissante, avec un petit effort. Il gémit, il coule, il l’inonde et de soupir en soupir retrouve le silence du disque qui tourne toujours.


Comme elle en a rêvé de ce moment. Comme c'est de savoir ce que ça fait, de prendre tout, tout et n'être plus rien. Elle sourit les fleurs derrière la vitre n'auraient jamais du arriver. Elle a même envie de prier une herbe folle dans la main de crier à son seigneur de sauver son âme. Dessiner des croix sur le non visage de lui, elle rit fort incongrûment en battant les flaques de ses pieds maigres. Elle met son cuir, son bandana, ses docs, et sort le visage peint avec la vérité, en plein milieu de ce nouveau soleil écrasée par la sirène de ses rêves, et laisse un sillon sur son passage.


FIN

lundi 14 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 6

Il veut dormir. Incroyable, comme il s’éteint, paf d’un coup. Elle aussi elle aimerait avoir un bouton off, couper « freak out » d’un cut sans avoir à attendre la fin du morceau. Les voisins se crient encore dessus dessous ce soir. Elle s'en fout elle fait plus de bruit que les autres.


Deux quatre jours filent comme ça sans un rayon de soleil. La routine parvenue à un mécanisme aussi digeste qu’une purée d’hôpital. Un fruit une tranche de pain, un sandwiche, une compote, une demi portion de dîner. Une nuit sans abandon, les yeux écarquillés dans un hurlement muet.

Il se tire pour trois jours à Angers. Elle va pouvoir souffrir comme il faut. Elle marche marche, va nager dans le chlore anonyme et il pleut. Elle nettoie, et se tient devant la fenêtre, le visage peint en noir et habillée en sorcière une main levée pour voir si ça fait peur aux cons.

Le voisine se repointe avec son sale chien qui sent le paillasson. Elle lui fait du thé, du ceylan marron qui fait palpiter le cœur quand on a faim. Au fond c’est peut-être pas si mal qu’il y ait quelqu’un ici avec qui c’est clair que l’amour n’est pas en jeu.

« Alors vous en êtes où ?

-Eh bien, je vais nager, je m’occupe de l’appartement, on n'a pas cours en moment et mon copain est à Angers pour trois jour.

-Bien bien…

-Et vous ?

Moi je me pose des questions.

-Ah oui ? »

Elle s’en fiche : elle regard la pendule. Si elle déguerpit pas elle va être en retard pour son pseudo dîner et ça la met dans une panique folle.

« -Eh bien oui. Au sujet de Elle ».

-Ah

-Arrêtez de faire semblant, vous voyez bien qu’elle veut du sang. »

La voisine dit ça en dressant sa petite tête hirsute orange d’un coup. Vraiment effrayant.

Elle ne se démonte pas. Après tout il y a enfin quelqu’un qui prend le truc au bras le corps

« -Oui je me doute mais vous voulez que je fasse quoi ?

-Lui en donner évidemment ! »

Là elle est complètement réveillée. La faim lui donne ses ailes osseuses de chauve-souris et lui picote les cuisses. Sa langue est sèche et toute dure.

-Mais oui bien sûr c’est simple, j’ai envie de mourir, donc c’est mon sang qui doit couler, c’est bien ça ? Eh bien voyez-vous ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Maintenant, je vais dîner, puisque vous avez fini votre thé. »

La voisine reste tranquille et se lève en parlant à son caniche, se reconduit elle-même à la porte pendant qu’elle, elle garde les bras bien croisés en face. Une fois fermée, elle se lève ; met le verrou et se sert un marie-brizard-jus de cassis bien sucré. Elle se perche sur le pouf avec une bougie et savoure l’ivresse de l’hypoglycémie alcoolisée avec Huxley dans les mains. Elle ne comprend rien mais les mots qui dansent la rassurent.

jeudi 10 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 5



Essaye le plus fort possible de sentir ses mains, son souffle sans que son estomac se contracte. Elle essaye sa mémoire, encore, des éclipses des gouttes qu’il faisait suinter de son dos avec la petite lame de sa passion. Elle serre les dents et il tire ses vêtements sans voir ses cuisses se serrer et son souffle accéléré par la peur passe pour autre chose. Vite vite elle se replie. Crie " y a quelqu'un merde!" tape tape sur le matelas de ses poings et de ses pieds, se tord. Elle s’est faite avoir ça doit être ça.
En tout cas. Elle l'a vue. C'est pas lui. Elle est passée vite devant la glace en rigolant, en l'encourageant. Mais comme toujours ça ne fait que bruisser son oreille à elle.
« Arrête avec tes conneries ça t'amuse ou quoi? il n'y a rien ! »
Mais non il ne lui dit pas ça il contemple. Embrasse comme un forcené ses traits tirés déformés par les hurlements d'angoisse. Il la laisse se faire gonfler les paupières jusqu’à ce qu’elle se donne des yeux de momie, sans un seul mot en la contenant, la berçant.
« Mais merde !!! Parle moi à la fin ! J’en peux plus j’en peux plus j’en peux plus »
Elle se jette sur lui fait valser les oreillers piétine encore et encore le cœur mou de son amour. Elle court sur la moquette se griffe le prend le pousse . Puis elle se pose à l’autre bout du lit, là c’est d’elle qu’elle est dégoûtée mais elle doit changer de tactique. Les trucs qui font peur, il aime bien ça non ? C’est lui qui voulait, les premières fois, le sang, le cou serré et l’entendre se débattre, après tout.
La moquette est bleu pâle mais la lumière rouge toute crue. Des objets sont écrasés dans tous les sens. Les motifs de la couette s’étale dans leur splendide absurdité, à se demander où les personnes qui les ont dessinées avaient la tête. Des tonnes de livres incompris prennent la poussière dans des caissons en bois improvisés au fond d’un garage l’été dernier.
« Tu sais la voisine me l’a dit. »
Miracle
« dis quoi ? »
Une femme est morte ici, il y a deux ans. Je sais ça sonne conte d’horreur mal tourné. Mais ça explique peut-être bien tout ça. Je sens un truc pas clair ici je te jure. Tu vois pas toi que ça nous surveille tout le temps. »

Elle n’a pas besoin en fait qu’il lui réponde ni ne fasse des yeux différents de ceux qu’il lui sert quand elle le torture « oh oui je déteste ça mais vas-y parce que je t’aime, j’attendrai la fin, quoi que cela doive coûter ».

Quand elle voit ces yeux-là elle préfèrerait voir des orbites toutes creuses que ça, un chien, exactement comme ça. Un livre peuple plus une pièce que lui.

dimanche 6 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 4

Dring. Elle se lève, ça ne tourne même pas. Ce n'est pas lui, c'est la folledingue de voisine et son petit chien. Elle au moins elle est maigre, on supporte de la voir. Elle ne demande rien d'autre que du thé et une oreille.

"Blablabla bla bla
et
Je sais tirer les carte moi, je vous le ferai un jour, et bla et bla et bla
Sacré vent"

"A croire que le printemps n'arrivera jamais cette fois"

Le couple d'à côté ils font un sacré raffut.

"ah oui je sais. Ils me font peur. L'autre nuit j'ai entendu un cri un coup et puis plus rien."

-et l'autre fois, celui qui avait son chien blessé, il y avait du sang dans le couloir enfin dans l'entrée, en bas. C'est les mêmes?"

-non. Ce n'est pas lui.

-ah bon."

-Vous savez c'est dûr mais je sais de quoi les gens vont mourir. A chaque fois que je les croise, il suffit que je les touche."

Elle lui dit ça comme ça. Sans attendre de réponse.

"je vous crois. je dis pas que je vous crois pas. »

"Au début c'était bizarre, quand j'étais une petite fille. La première fois j'ai vraiment cru que c'était ma faute. Mon oncle qui a eu un accident de voiture. Mais non c'était pas un rêve non plus. Ce qui est dur c'est qu'on peut rien changer à ça, prévenir ou des choses de ce style. Vaut mieux pas en parler."

Pourquoi ça tombe sur elle. Cette peau ratatinée et ces cheveux mal teints et cette odeur pourrie de vieux caniche (assez sage cela dit) qui se traîne sous la table et ces mots qu'on n'entend jamais en vrai. Et pourtant là, elle la croit. Elle ne demande pas. De quoi elle va mourir elle. Elle sait, elle décide et de toute façon elle s'en fout.

"Vous savez, j'ai déjà croisé votre petit ami.

-Ah »

Il ne rentre pas alors tant qu'à faire autant s'occuper, non. 18h45.

« Oui. Il est mignon. »

Les regards durs et désabusés se croisent un instant. Elle cesse de divaguer et se représente ses paupières tombantes, ses longs cils et les yeux gonflés, les épaules fines.

« mais je ne vous vois pas avec lui. Il a l’air absent.

-ah bon. Mais je ne crois pas

-Si une femme comme vous il lui faut un garçon avec du caractère »

Là ça l’énerve franchement. Elle tremble légèrement dans sa cheville.

lundi 31 mai 2010

Le Petite Thanathoïde - 3



Elle marche pour aller en cours, la tête haute, derrière son maquillage ses lunettes de soleil, son bandana bleu et son cuir vert, toise ses contemporains ignobles. Elle s'assoit sur un banc, près d'un garçon qu'elle connaît, un qui n'est pas bavard, triste, mais pas à sa façon elle. Et pleure encore, encore et encore, devant témoin. Il ne dit rien. Personne n'a rien à lui dire cet hiver, on la regarde bizarrement mais ils n’osent pas. Ca arrive à la faire rire frénétique qu’ils soient trouillards comme ça de se laisser jeter cette merde à la face. Sauf son professeur qui aime ses poèmes, qui comprend pourquoi elle traîne avec les fossoyeurs et espionne les vieilles qui prient leur mari défunt. Il lui dit:

"Si Kurosawa avait réussi sa tentative de suicide à 20 ans, dans sa baignoire, il n'aurait jamais fait Dersou Ouzala."

Vingt ans, elle a vingt ans et c'est le pire âge possible, et elle n'a même pas eu la force de se jeter par la fenêtre hier soir. Elle pensait encore, que peut-être, il voudrait essayer de la sauver. Il l'a bien retenu, pour le principe mais il est usé, lassé de sa comédie. Alors il regarde par terre, se laisse insulter. C'est ça un homme? Elle se demande bien qui a pu lui fourrer cette idée dans la tête que les hommes étaient plus forts, étaient un soutien pour les femmes. Et là elle n'arrive même plus à se reformuler les ignominies qu'elle a pu lui dire sur la petite fille. Il refuse de la voir, il dit qu'il n'y a personne dans l'appartement. Mais il reste interdit et la force avec laquelle il voudrait étouffer ses cris est la force qui veut éviter les vagues, exactement ce qu'elle voudrait la merdeuse. La douceur c'est fini. Reste l’absence qu’elle a bien cherchée, le ventre de son mec qui enfle et ses côtes qui percent ses hanches.

Elle attend la fin du cours, les aiguilles dans l'œil. Les étudiants mous du bulbe pour qui le temps passe comme ça pouf, jouent à remonter leur montres pour lui faire peur. Les mains tremblantes, la bouche sèche elle attend tant qu'elle n'attend plus rien. Quand le générique arrive, aucune image n'a imprimé son cerveau tout entier tourné dans son intérieur visqueux. Elle se lève avec une force de damnée pour foncer à leur appartement. Faire des courses d'abord.

18h 07 Au début, les supermarchés la faisaient paniquer. Tant d'emballages, tellement de décisions à prendre devant cette débauche inadmissible. Les vieilles dames qui rêvent devant les brocolis et sont ravies de vous demander de leur attraper un paquet de sucre. Les alcoolos qui n'achètent que des bouteilles. Mais maintenant, elle ne fait plus ses courses avec lui. C'est son paradis privé. Elle traîne et regarde avec précision chaque boîte de biscuit. Jusqu'à ce que ça colle sur sa rétine, jusqu'à ce que le goût vienne à la bouche. Le truc c’est de faire durer ça le plus longtemps possible, et éviter de se faire passer pour une folle. Ou juste un peu, pour les faire douter.

Elle est couchée sur le dos. Regarde 19h20 sur le magnétoscope. Sur le dos ça fait moins mal. Elle souffle, essaye de rester en place. Elle sait bien que cette putain d'horloge n'a rien à ajouter évidemment sauf l'éternité contenue dans chaque seconde. Chaque habitant de l'immeuble rentre chez lui. Non c'est pas lui. Ce n'est jamais lui, c'est mieux comme ça.

jeudi 27 mai 2010

La Petite Thanathoïde - 2



Un an qu'elle est à Nantes, un an que les larmes tombent de plus en plus grosses, de plus en plus souvent de ses yeux, n’importe quelle heure, que la glace coule dans ses veines comme une drogue de rien. Elle s'est mise à marcher, pour éteindre ce feu qu'il ne peut pas calmer. Des kilomètres de montées et de descentes, par tous les temps, vite, vite en marmonnant. A affronter les baisers glacés de ses cauchemars dans les ruelles grises de la ville maudite. Pour l'attendre, comme elle l'a déjà attendu, six mois, quand ils avaient 18 ans et que le monde était une grande cour de récréation. La première fois le ciel et les étoiles se sont déchirés au-dessus de leurs corps électrifiés, elle n‘en était même pas à essayer de sentir des contours. Tout pénétrait, tout caressait épousait et fondait dans un ballet de combustion spontanée.

Elle a croisé son reflet, ses reproches dans les vitrines des pâtisseries qu'elle contemplait, pour le plaisir de déguster des yeux avec la faim au ventre. Chaque bouchée imaginaire qui ronge ses os, que l'autre mange pour elle, que personne ne veut porter à sa bouche. Ses cris silencieux emplissent les éclairs de crème au chocolat.

C'est comme ça quand elle l'attend. Elle préfère penser qu'il ne viendra jamais, que le temps s'est arrêté et qu'elle n'est plus que ses yeux pour voir, ses fesses saillantes sur les pierres tombales qui sont ses seules amies.
Elle rêve qu'elle est noire, qu'elle est vieille qu'elle est maigre, elle voudrait ne jamais lâcher la main de la fillette d'un millions d'années qui lui tient la main et se moque d'elle avec sinistre silence. Alors elle se peint le visage, elle hurle en face du miroir, elle se griffe et monte, descend de la balance quinze fois par jour. 39 kg. 39 kg 200. 38 kg 900. Elle s'agite et s'écroule en soubresaut, brasse plus d'air qu'ils ne pourront jamais en respirer.

Elle se roule un joint, ouais comme ça avant de partir, pour la première fois de sa vie le matin. Et merde, au moins ça non? Elle se sent plus légère et sa peur peut enfin ouvrir ses ailes de corbeau pour quelque chose. Elle ne le réveille pas, elle sait qu'il ne posera jamais plus ses mains là où il le faudrait.

Elle chantonne "crying for no one a love that you had passed at years", le disque répond "cried for no one a love that should have lasted years".

dimanche 23 mai 2010

La Petite Thanathoïde - 1

Dans un festival de bruits et de couleur, elle le cherche. Envahie des formes qui gigotent dans le village carton pâte des premiers plans, elle passe inaperçue. Il n'est pas si vieux. Dans la chambre d'hôtel, son père est Joseph K.

"- What the hell is going on?"

Il recopie la Thorah, complètement absorbé par les signes impossibles, qu'elle ne s'attend même pas à reconnaître. Elle ne demande pas pourquoi il fait ça penché sur le lit le dos tourné alors que la porte est de l’autre côté, ni comment elle a fait pour rentrer par là. Elle comprend qu'elle doit se tirer, avant que quelque chose de terrible n'arrive. Là elle se voit, qui la regarde. Qui sait, ce qu'elle est au fond. Cette négresse squelettique, le torse en papier, un médaillon en bois sur la poitrine, les cheveux ras: Elle se voit comme personne ne la voit. Et elle doit trouver sa mère, revient en arrière et les couleurs sont encore plus violentes, comme si elle se téléportait chez les Schtroumpfs ou Alice au pays des merveilles, quelle importance. Elle se demande bien pourquoi tous ces imbéciles sont hilares avec leur costume ridicule à pois. Quand elle les interroge, ils rient et lui conseillent de ne pas se prendre la tête, enfin c’est ce qu’elle comprend. Au fond ils pourraient bien salader s’importe quoi avec leurs grimaces, c’est ce qu’ils disent plus ou moins tous elle a remarqué.

Elle finit par s'assoir sur une petite pelouse en plastique, près d'un arbre à roses au beau milieu des stridences, un peu étourdie par ces gigotements d'insectes sans cohérence. Doucement, elle s'évanouit et n'est plus qu'une branche de bois sanglante entre les brins synthétiques. Plus tard, elle est remise, les images sont moins floues, elle la voit. C'est sa mère, comme elle ne la verra jamais non plus : grosse, brune avec une frange et des lèvres bordeaux dégoûtantes, les bras qui dégoulinent. Elle sort des mots sans sens de sa bouche et les remplace par des pelletés de mousse au chocolat. Les seuls mots cohérents qu'elle parvient à prononcer sont pour l'inviter à en faire autant. Vomitif, c'est vomitif. Impossible que cette chose soit sa mère, pense-t-elle en finissant avant de l’avoir avalée, dans une vision repoussante, sa coupe du revers de la main.

Et la voilà, fuyante, disparaissante, tremblante, presque transparente, les yeux au plafond blanc, essayant de ne pas sentir le froid qui pénètre ses membres. Le vent souffle avec toute la fureur vaine dont il est capable sur la Loire, trois rues plus loin. L'air s'engouffre dans les rues vides en un million de petites griffes mortelles. Elle imagine vaguement le passants gras traînant sur les pavés, inconscients de ce souffle nauséabond qui les pousse de part en part.

Chaque matin, à peine les yeux ouverts, dur et perçant, tout revient. Un reflux malvenu. Comment tout s'est désintégré, jour après jour, pourquoi il est parti et comment il ne reviendra jamais. Elle tourne la tête sur sa droite et espère vaguement qu'il n'est pas là du tout. La seule forme de son épaule qui pointe sous la couverture la paralyse, si il s'éveille et qu'il la voit, pire, qu'il la touche... Elle entrevoit le plafond comme de la glace et se place en totale communion avec sa surface stérile. Elle fait le vide dans ses membres, apprend la haine, adopte le contact stérile des draps dans le soleil qui se lève sur le cauchemar de son existence.