dimanche 23 mai 2010

La Petite Thanathoïde - 1

Dans un festival de bruits et de couleur, elle le cherche. Envahie des formes qui gigotent dans le village carton pâte des premiers plans, elle passe inaperçue. Il n'est pas si vieux. Dans la chambre d'hôtel, son père est Joseph K.

"- What the hell is going on?"

Il recopie la Thorah, complètement absorbé par les signes impossibles, qu'elle ne s'attend même pas à reconnaître. Elle ne demande pas pourquoi il fait ça penché sur le lit le dos tourné alors que la porte est de l’autre côté, ni comment elle a fait pour rentrer par là. Elle comprend qu'elle doit se tirer, avant que quelque chose de terrible n'arrive. Là elle se voit, qui la regarde. Qui sait, ce qu'elle est au fond. Cette négresse squelettique, le torse en papier, un médaillon en bois sur la poitrine, les cheveux ras: Elle se voit comme personne ne la voit. Et elle doit trouver sa mère, revient en arrière et les couleurs sont encore plus violentes, comme si elle se téléportait chez les Schtroumpfs ou Alice au pays des merveilles, quelle importance. Elle se demande bien pourquoi tous ces imbéciles sont hilares avec leur costume ridicule à pois. Quand elle les interroge, ils rient et lui conseillent de ne pas se prendre la tête, enfin c’est ce qu’elle comprend. Au fond ils pourraient bien salader s’importe quoi avec leurs grimaces, c’est ce qu’ils disent plus ou moins tous elle a remarqué.

Elle finit par s'assoir sur une petite pelouse en plastique, près d'un arbre à roses au beau milieu des stridences, un peu étourdie par ces gigotements d'insectes sans cohérence. Doucement, elle s'évanouit et n'est plus qu'une branche de bois sanglante entre les brins synthétiques. Plus tard, elle est remise, les images sont moins floues, elle la voit. C'est sa mère, comme elle ne la verra jamais non plus : grosse, brune avec une frange et des lèvres bordeaux dégoûtantes, les bras qui dégoulinent. Elle sort des mots sans sens de sa bouche et les remplace par des pelletés de mousse au chocolat. Les seuls mots cohérents qu'elle parvient à prononcer sont pour l'inviter à en faire autant. Vomitif, c'est vomitif. Impossible que cette chose soit sa mère, pense-t-elle en finissant avant de l’avoir avalée, dans une vision repoussante, sa coupe du revers de la main.

Et la voilà, fuyante, disparaissante, tremblante, presque transparente, les yeux au plafond blanc, essayant de ne pas sentir le froid qui pénètre ses membres. Le vent souffle avec toute la fureur vaine dont il est capable sur la Loire, trois rues plus loin. L'air s'engouffre dans les rues vides en un million de petites griffes mortelles. Elle imagine vaguement le passants gras traînant sur les pavés, inconscients de ce souffle nauséabond qui les pousse de part en part.

Chaque matin, à peine les yeux ouverts, dur et perçant, tout revient. Un reflux malvenu. Comment tout s'est désintégré, jour après jour, pourquoi il est parti et comment il ne reviendra jamais. Elle tourne la tête sur sa droite et espère vaguement qu'il n'est pas là du tout. La seule forme de son épaule qui pointe sous la couverture la paralyse, si il s'éveille et qu'il la voit, pire, qu'il la touche... Elle entrevoit le plafond comme de la glace et se place en totale communion avec sa surface stérile. Elle fait le vide dans ses membres, apprend la haine, adopte le contact stérile des draps dans le soleil qui se lève sur le cauchemar de son existence.

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