vendredi 24 septembre 2010

Le Cureteur à Piston - 2


Jeudi 15 octobre 2009
L'hiver est arrivé aujourd'hui et le froid m'a eue par surprise. Je pense que je couve quelque chose. Je suis arrivée à la bourre à la première réunion des débloks hier soir. J'ai rien à foutre, je suis au chômage et je trouve le moyen de foirer. De toute façon, depuis que cet enfoiré s'est décidé à me plaquer et que je suis retournée chez ma mère, tout marche de travers. Je sais bien que je suis censée rebondir. D'ailleurs il ne me manque même plus. C'est pour ça que je me suis inscrite chez eux. Non, je ne pense pas rencontrer l'âme sœur à l'HP, mais au moins je serais un peu occupée. Je verrais des gens pires que moi, je pourrais laisser se démêler des lambeaux de ma cervelle en me demandant comment des lambeaux peuvent sortir d'un truc creux. Eh oui je vais aller à cette soirée où m'a invité Justin, pour ça aussi. Les lambeaux.

vendredi 3 septembre 2010

Le Cureteur à Piston - 1

Muriel avait fini par considérer sa foi comme une arme secrète. D'une famille traditionnelle de Paris, elle avait subi avec patience et lucidité les démembrements de ce début de siècle et s'était vu contrainte de fuir par la pensée les convictions qui tombaient les unes après les autres. Sa foi était son ressort caché, bien plus que sa beauté dont elle ne pouvait contrôler les effets. Son histoire commença en automne, jour où elle se rendit pour la première fois à l'assemblée d'une équipe de bénévoles dédiée à l'animation dans les hôpitaux psychiatriques publics. Fondée par la sœur Marie-Line, religieuse d'un ordre moderne, le groupe des débloks rassemblait des paumés qui avaient trop de temps libre, des gens qui pensaient qu'aux frontières de la santé mentale se trouvaient les réponses aux limites de cette société sans but.

Elle était chargée de lourds cabas de BD et de matériel de peinture, le soir tombait et elle remontait le canal Saint-Martin et ses mortes eaux grises. Elle était un peu embarrassée par ses talons hauts mais elle n'allait pas pour autant abandonner ce rempart de féminité. Les tendons de ses bras fins tirés par sa charge elle cliquetait tant bien que mal, évitant les regards, la population qui changeait à dix-neuf heure, les derniers travailleurs se pressant toujours sur les rives où les traînards chelous et les sans domiciles fixes se réunissant passé septembre, passé six heures du soir. L'agitation baissait au fur et à mesure de son avancée, alors que les arbres de plus en plus nombreux se déployaient dans les gaz empoisonnés des voitures collées entre elles. Des bancs se succédaient avec une fréquence moindre. Certains vides, d'autres envahis par des groupes qu'elle ne regardait pas, ou un vieux triste à qui la promenade avait semblé plus longue que ses projections. Muriel avait pris cette détestable habitude parisienne de ne pas trop s'impliquer dans les regards croisés, surtout le long du canal. Mais elle possédait cette force de la fraction de seconde, où elle ne pouvait pas se soustraire à cette vie, même malade et raréfiée qu'on rencontre dans les rues.

Sur un de ces rebords, elle reconnut Justin regarder le jour finir, enfoncé dans son sempiternel imperméable.
-Alors petite Muriel, en route pour chez les dingues?
-J'en connais qui sont plus engagés sur la voie que moi! Répondit-elle en attrapant la bouteille de bière que Justin lui tendait, visiblement ravi qu'elle fasse un arrêt pour lui. Il entrepris de l'hypnotiser de sa chaude voix, et Muriel rêveuse s'assit et oublia un peu l'odeur de l'essence et de la pisse en fumant une cigarette. Près de Justin, on pouvait rêver les pieds sur terre, enfin sur les pavés, et la tête dans le ciel lourd. D'ailleurs la lumière était presque tarie. Avec un frisson la bière discount fut terminée, et Muriel se ressaisit.
-Oh zut avec tes histoires je suis carrément à la bourre maintenant.
Mais oui mais oui, file mini souris.
Et c'est ce qu'elle fit, petite rongeuse sans autre couleur que celui de ses joues rosies par l'effort et la gêne.

Elle déboula dans un petit couloir qui sentait le quatre quart et le café refroidi, entendis une voix filtrer de la porte au fond à gauche, passa dans l'ouverture. Soeur Marie-Line déambulait devant les chaises, où les participants sagement assis prenaient des notes, baillaient et jetèrent un œil de curiosité vite satisfait sur la retardataire.
« Bon en résumé, voilà notre plan d'action. Souvenez-vous que vous avez affaire à des gens qui s'ennuient. Ils sont en général bien conscients des aprioris qu'on peut porter sur eux. Vous n'êtes là pour sauver personne mais vous pouvez contribuer à créer un climat familier dans la jungle que représente un hôpital, qui concentre des personnalités fragiles se heurtant les unes aux autres. Il s'agit de leur faire oublier un peu les médocs, les docteurs toujours occupés, les infirmières qui leur parlent comme à des gosses. Bien, je vous dis bonsoir, n'hésitez pas à m'appeler où à m'envoyer un mail si vous avez des questions. Merci d'être venus » On s'attendait à une explosion d'applaudissement tellement Marie-Line était à l'aise dans son rôle d'animatrice. Elle eut même une petite esquisse de révérence avant de se retirer, ce qui énerva un peu Muriel.