dimanche 9 janvier 2011

Le Cureteur à Piston - 9 et fin

Samedi 31 Octobre 2010
Il m'est arrivé un truc incroyable en revenant des débloks aujourd'hui. D'ailleurs je pense que je ne pourrais pas y retourner maintenant c'est sûr. Car toutes mes craintes se sont matérialisées ce soir, sur les bords de ce maudit canal, dans le ciel gris-blanc. Je m'étais arrêtée, et d'ailleurs ce n'est pas mon style. Ces rivages son toujours aussi crades je me lamentais dans mes larmes d'incomprise universelle. Et la nuit commençait à tomber. Un peu tôt 17h30 pour une fin octobre, je me suis dit. Mais bon. Un vol de corneilles s'est alors élzvé ventre sur l'eau morte, battant l'air de leurs ailes, comme des de coups de fouet. Alors, je les suivais du regard. Dans mes pleurs la lumière avait vraiment énormément baissé. Je regardais autour de moi, comme on fait pour chercher un chemin ou un témoin à la réalité? Il n'y avait personne, pas le moindre passant sur les berges ou les trottoirs aussi loin que mes yeux pouvaient exercer leurs pauvres sens limités. Incroyable. Il faisait nuit à présent, nuit noire. Les corneilles repassèrent mais cette fois je ne fis qu'entendre leur sinistre vol. L'obscurité ne dura pas plus d'une minute selon mes souvenirs, peut-être même seulement trente secondes. Je restais ainsi. Consciente que je vivais un moment surnaturel, ou un moment de folie, j'essayais sans succès de déterminerdéterminer lequel des deux pesait sur ma tête depuis ce ciel envahi. Et le vol de corneilles traversa le ciel à nouveau, dans l'autre sens cette fois. Comment diable avaient-elles fait pour passer deux fois dans le même sens pour revenir ensuite, je ne le sais. Et d'ailleurs comment saurais-je qu'elles étaient des corneilles moi, pauvre enfant de la ville inculte du phénomène de la vie appauvrie. La lumière revint par fractions, quartier après quartier alors que je comprenais que je venais d'assister à une banale éclipse solaire. Ce qui me frappe encore cependant c'est pourquoi personne n'avait pu prévoir cet événement? J'ai beau ne pas beaucoup regarder les informations, je croise quand même les titres des kiosques et les bavardages dans les couloirs. D'habitude, les gens se munissent de lunettes de soleil et papier à radiographie médicale pour regarder le soleil de biais. Justin l'aurait fait, sûrement sans filtre, et il m'aurait dit.


Muriel pouvait aussi bien être installée là depuis a nuit de temps. Devant elle la surface du lac se déployait too too calm too too perfect comme dit Verlaine #2. Elle, pensa à l'eau qui dort et continua à grignoter son pique-nique. Justin apparu sur sa droite derrière une petite butte qu'il escalada allègrement et dégringola avec un peu moins d'élégance ce qui fit pouffer la fille. Il fit crisser le sable épais sous ses chaussures de ville.
-Muriel, dieu merci, tu es là!
-Be oui! C'est quoi cette urgence? lui cilla-t-elle.
Justin avait sa tête renfrognée, le regard préoccupé des mauvais jours. Ça le vieillissait dans un froncement de sa bouche de ne pas être pris au sérieux. Il s'agenouilla toutefois auprès d'elle et lui pris la main entre les siennes, pendant qu'elle mâchouillait. Tous les deux laissèrent leurs yeux se reposer sur l'horizon si rare quand on traîne dans les rues de Paris, et là Muriel pensa à la phrase sur regarder dans la même direction.
« Hier soir, c'était un moment très spécial, commença-t-il. On devait faire un truc, tu sais bien, avec Laurine et Charles. »
Il se tourna vers elle, cherchant une approbation. Il ne vit rien qu'un vague sourire flotter sur son visage absorbé pas la contemplation. Elle lui adressa un petit encouragement du menton.
« Bon. Elle avait mis sa longue robe rouge, et elle était magnifique. On l'avait enfin trouvée, donc on allait pas rester comme ça et va savoir pourquoi, c'était à moi d'agir. Elle était toute jeune, assez bien roulée avec la peau toute rêche et elle pleurait beaucoup. Normal, moi aussi j'aurais pleuré à sa place. On l'avait attachée à l'autel que présidait Laurine. Elle était dans son élément celle-là. Plus vivante que jamais. Elle chantait, disposait les objets bien dans l'ordre, sérieusement mais pas sans amusement. Charles la suivait de bon cœur. Ils ne riaient pas mais leur façon de se frôler pendant tout ça avait quelque chose de ça. C'est là qu'on a commencé. D'abord quelques gouttes de sang à boire pour chacun. Tu sais que j'en ai toujours aimé le goût, et là c'est moi qui tenais le couteau. Un beau truc, prêté par JC du mur du Trash up, le manche tout sculpté de feuilles qui entourait un crâne. La gosse hurlait, et on chantait avec elle. On n'avait pas le sentiment d'être dans un monde différent du sien, du moins pas moi à ce moment-là. Puis la vue et le goût du sang ont exercé leur pouvoir enivrant et tout a semblé un peu différent. Comme lorsque on regarde un tableau et que soudain on entre dedans et on peut le voir depuis un angle inconnu. J'étais excité et nous l'étions tous les quatre, en chasse gardée. Laurine passait entre nous en dansant et nous embrassait, puis elle nous dessinait à chacun une croix de sang sur le front. Là elle a fait boire un truc laiteux à la gamine. Deux trois chants et un bon gros pétard après, notre petite victime était beaucoup plus calme. Il faut que tu comprennes à quel point tout était si voluptueux, que je ne pouvais agir autrement! J'ai commencé par les extrémités de son corps tout frêle, à petits coups d'aiguillonneuse, en petite croix de toiles d'araignées sur les mains, les pieds et puis les bras. Elle gémissait dans son demi-sommeil, de façon très sensuelle et moi aussi, je trouvais ça bon. J'attendais de voir luire, à la surface de sa peau, avant d'entailler encore la peau fine qui prenait un goût de ferraille. Charles guidait la danse en tapant sur un tambour, de plus en plus fort et moi aussi j'y suis allé de plus en plus profond. Laurine se léchait les lèvres et nous embrassait encore et encore avec la passion du jeu. C'était à la fois drôle et beau, envahit par la lumière des bougies à travers la fumée de l'encens, la grande robe rouge mouchetée de goutelettes de sang. J'ai retiré les yeux noisette de la petite avec précautions, sans la réveiller. Le cureteur à piston est si facile à l'utilisation, il ne demande presque pas de force. Il suffit de bien diriger son geste et le reste suit tout seul. Ensuite j'ai enlevé son T-shirt et je l'ai posé à côté des yeux tous rouges tournés vers elle, bien rangé, avec le reste. Tout avait un ordre sans qu'aucun de nous n'ait besoin de dire quoi que ce soit. Son ventre était mou et dur. J'ai plongé le cureteur à piston dans son nombril, et là il a fallu exercer une pression plus forte. On peut se douter que c'est comme ça un ventre, je veux dire toi et moi on a vu des films quoi et on en a un chacun de bide. Mais plonger dedans c'est autre chose. Et là j'ai sorti tout ce que j'ai pu de ce nombril, rouge rouge rouge, il n'y avait plus que cela qui comptait. J'étais comme un animal et en même temps je savourais de façon très consciente le dégoût que me procurait la vue des tripes s'extirpant du petit trou que j'avais formé. Je n'en avais plus rien à foutre de ce que vous vous pouviez penser ou ressentir, je me suis senti libre.
Le corps était mort et cependant le chant de Laurine se poursuivait avec emphase. Je baignait dans les débris de ce qui avait été cette fille, découpais déstructurais et séparais les parties rouge rouges rouges avec instinct, il n'y avais plus que ça? Je suis désolé Muriel, vraiment. C'est impossible à comprendre mais je voulais que... voilà quoi, je voulais que tu saches. »
Elle écarquillait les yeux et passa sa main sale dans les cheveux de Justin.,
-C'est impossible, tu racontes bien je dois dire mais je vais pas marcher. Elle laissa passer un vague nuage de silence sans sourire ni le regarder dans les yeux et s'arrêta enfin de manger.
-Et moi? Dit-elle. Je ne me souviens plus. Où étais-je hier soir?
-Justement. C'est ça que je voulais te dire. Tu étais à mon côté, tout du long. Tu contemplais et tu prenais ton pied. Laurine nous avait prévenus que ta seule présence était plus forte que ses chants pour former le réceptacle. Et tu dois arrêter maintenant. Laisse-le repartir c'est fini, il doit sortir. Regarde, enfin, regarde ce que tu es en train de manger! S'il te plaît!
Elle reposa la caissette qu'elle tenait sur ses genoux et se sentit submergée par une énorme vague de nausée.
Les bouts de tripes et les éclats de visages, les organes flottaient selon leur densité dans le sang, couleur sauce. Elle lécha ses doigts et leur trouva un goût de foie de volaille.
« Et maintenant? Je suis sensée faire quoi? Implora-t-elle les lèvres tremblantes, encore rouges sur les coins. Justin avait deux larmes qui lui barraient les joues.

dimanche 2 janvier 2011

Le Cureteur à Piston - 8


Vendredi 30 Octobre 2009

Mon dieu, quel cauchemar atroce que celui qui vient de naître des pourritures de mon cerveau. Je n'ai pas tant, bu il n'y rien que moi et mes songes, ceux qui vous trahissent le plus. J'ai vu Justin et Louise s'embrasser en, rêve, tous les deux torses nus buvant à la source de leurs bouches, comme un fruit frais qui ne s'épuise pas. C'était très beau avec un pincement au cœur. Ensuite, Louise était dans une transe folle, comme un singe épileptique à la réflexion. Noire et maigre, geignant dans une violence désarticulée, condamnée à être flanquée contre les murs mais dans un désir sournois de baiser le corps exposé de mes amis de mes griffes. Je voulais hurler tandis qu'un saisissement fasciné, comme une brume de matin fraîche me roidissait. Je savourais en souffrant silencieusement l'énergie que je sentais me traverser pour former le déchaînement dont j'étais la spectatrice. Parfois me venait le sentiment qu'inspirant leur plaisir j'étais leur maîtresse de l'ombre. Je n'ai vu l'horreur de la scène d'après que dans succession de flous et de transitions sans appels, dans la logique implacable des rêves. Je dormais dans un lit blanc, au creux de bras que je pensais ceux de Justin, les jambes reposant dans un liquide chaud. C'est alors que refusant de regarder effectivement le bas de la couche, je su qu'un animal l'occupait. Une moitié d'animal, partie inférieure bien sûr. Le liquide chaud, c'était son sang, un sang trop noir pour être vivant et trop visqueux pour être humain. C'était un cerf ou un taureau, un cheval brun, je n'aurais su dire. Je l'avais amené là, dans l'inconscience de Justin, et dans la mienne visiblement. Il faudrait s'en débarrasser et tout nettoyer le lendemain, je le savais bien. Et le sommeil voulait me le faire oublier. La chaleur plasmique des draps m'engourdissait et l'étreinte de Justin concourrait à me rendre certaine de l'absolue nécessité de la présence de ce demi-cadavre avec nous. J'ai vomi toute la journée aujourd'hui, une casserole pleine de bile, rejetant la faute sur l'alcool et comptant sur le fluo dans l'aluminium pour m'apporter les réponses de ce qui repose en moi et qui produit de tels tableaux. Je ne savais pas qu'on pouvait rejeter autant de cet acide et ma mère a voulu appeler un docteur, quand pleurant sur le canapé, elle me tendit un verre de sirop et mon sac, avec mon cahier dedans. C'est passé. Je devrais dormir sans Justin et sans l'animal, implorant mes tempêtes de se tenir plus tranquilles.

Muriel était exceptionnellement en avance aux débloks. Un homme était déjà là, le seul avant elle. Le dos droit, les mains à plat sur les genoux, il fixait l'air ou le mur en face de lui, d'un air de quelqu'un qui se saurait caché par un masque une barbes ou des lunettes de soleil. D'un calme incontestable et presque effrayant son attitude absorba tellement Muriel qu'elle s'assit sans s'en rendre compte tout près de lui. Elle murmura alors un « bonsoir » qu'elle voulait de circonstance, alors qu'il n'y en avait aucune connue dans ce cas présent. Seul la résonance et pas le père Grégoire lui répondit.
« ça tombe bien que vous soyez là, se décida-t-elle à lui souffler. » Le père Grégoire était de ces personnes qui inspiraient un respect immodéré à ceux qui l'approchaient. Sa force lui venait aussi de la tolérance qu'il affichait pour la contestation, qu'il la voit affichée à son encontre ou à celle de ses principes dont nul n'aurait su dire si ils avaient vraiment un foyer. Le père Grégoire était un de ces bergers profondément terrestres.
« Est-ce que vous-vous y connaissez en possession?
Les yeux du prêtre se firent hilares à la place de sa bouche.
« Explique-toi »
« J'ai de bien mauvais pressentiments.
- Ca c'est courant, cela a à avoir avec la maladie humaine, pas avec les esprits.
-Oui justement, ce n'est pas elle, je la reconnaitrais. C'est justement quelque chose de non humains dont je parle, insista-t-elle en pensant au demi cerf. Je ne contrôle rien, il me manque des morceaux dans le temps, on me guide, on me fait ressentir des choses.
-Tu sais pourquoi nous faisons ce travail ici?
-Les débloks vous voulez dire?
-Oui
-Non exagéra-t-elle cherchant manifestement uniquement à le faire parler.
-Les histoires de démon, tout le bazar, tout ça a changé. Maintenant cela à un autre nom et nous savons toi et moi que ce n'est ni Marylin Manson, ni aucun homme vivant. Notre ennemi n'a jamais été vivant. Plus d'exorcisme, même le mal s'adapte à son ennemi, ici, nous cherchons à le comprendre à savoir ce qu'il cherche. Car cela a toujours été la façon de chasser les démons, cela est une chose qui ne change pas.
Pendant cette dernière phrase, sans doute prononcée un peu trop fortement pour Muriel qui voyait rentrer Marie-Line et les participants autour de la table.
-D'accord, supposons, poursuivit-elle en chuchotant. Que faites-vous alors, que suis-je sensée faire si je sens cette chose, n'importe quoi, m'envahir chirurgicalement, sans doute possible et sans aucun mélange avec le reste de mes sentiments.
-Une telle chose est un conte de fées. Et c'est exactement les histoires dont les malades ont besoin pour gérer leurs pulsions niant l'empathie. Et la raison n'est pas l'ennemi de dieu. Chirugicalement, les cellules de votre cerveau n'ont rien de plus que la légère schizophrénie pour laquelle vous êtes traitée. La raison n'est pas l'ennemi de Dieu.
-Mais enfin, vous ne voyez donc pas que je crie au secours? Et à qui d'autre? Je suis un véhicule, pas là tout de suite, mais je ne peux rien faire que de le crier pour sauver le moindre libre-arbitre qui me reste. Et personne ne comprendrait si bien que vous cette imbrication d'ailleurs.
Muriel est furieuse et sa bouche se tord quand elle termine chacun de ses mots.
Marie Line pose une main sur son épaule et ébauche un « tu sais... »
« Vous savez vous, que je vomi de la bile verte? Que je tremble et que je gerbe dans les frissons constants d'une fièvre sans température. Le fil se perd sans direction au-dessus de la douleur. Et je vois dans la nuit des choses.
Le père Grégoire l'interrompit en murmurant une prière. La mélopée de sa voix ramena un semblant de tranquillité dans la pièce sidérée au milieu de laquelle Muriel se releva.
« Non, cela ne va vraiment pas être possible pour moi de rester ici ce soir » annonça-t-elle. Elle siffle entre ses dents « Hommes de peu de foi, est-ce ainsi que vous ramenez à vous vos brebis égarées lorsque l'une vous appelle à l'aide.
« S'il y a avait vraiment un esprit malin, le meilleur service que nous pourrions lu rendre serait de croire en lui. Le tien n'aura pas ma foi, le reste est ton combat. »
Muriel ne fut pas en mesure de retenir les larmes qui tombèrent de ses yeux humides et referma la porte un bras tendu les genoux crispés, prête à mener une guerre qu'elle savait perdue par avance.