samedi 20 novembre 2010

Le Cureteur à Piston - 6


Muriel faisait son possible pour se tenir fièrement devant l'enseigne du Trash-up. La nuit était si électrique que le calme qui y persistait semblait plus artificiel que les lampadaires ou les silhouettes trébuchantes, de trottoirs en caniveaux, qui dépassèrent Muriel et s'éloignèrent, enfouis dans leur bande. J-C derrière le bar, avait pris un sacré coup de vieux en quelques semaines, il se voutait sensiblement sur les bouteilles, et quelque chose dans le pli de son menton ne disait rien qui vaille. Muriel revint de sa pause cigarette et se rassit à la table carrée qui avait pris la place de la foule du soir de l'ouverture. On y jouait au poker, et les petits cris des perdants perçaient la chape de rock qui flottait sur eux. Il ne restait guère plus que la tension du jeu entre les consommateurs. Quand Muriel fut replacée face à l'entrée du bar elle distingua une collection d'objets indistincts étalés sur le mur. Elle n'ose pas poser la question à J-C ou à Laurine, mais elle les scruta avec attention depuis sa place, tout en continuant la partie qui se lassait un peu avec l'heure et l'état d'ébriété des participants.
Elle distingua des couteaux, de nombreux couteaux en fait, une magnifique collection soignée, avec des modèles et des tailles de toutes sortes. Certains étaient précieux par leur matière, d'autres par la forme qu'on leur avait donnés, variant de la simplicité déconcertante et pure du métal au savant mécanisme formé d'enchevêtrements inattendus. Muriel n'eut pas vraiment le temps de satisfaire son envie d'examiner ce dernier instrument de plus près, car le patron se leva et tira un rideau sur le mur, dissimulant la collection et lança un disque. Pour faire diversion bien sûr se dit-elle en haussant intérieurement les épaules tout en trouvant l'attitude de JC d'une logique très faible.

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Dimanche 25 octobre 2009.

Je suis comme qui dirait un poil inquiète. J'ai fait, ce qu'on appelle communément un black-out la nuit dernière... On aurait foutu un truc dans mon verre? En tout cas je me suis réveillée toute propre dans mon lit, et ça c'est bizarre, sans gueule de bois. Fâcheux pressentiment, d'habitude ça n'arrive qu'aux autres. Et en essayant de rassembler les fragments éparpillés de ce qu'il reste de cette ellipse, les reflets se croisent et se contredisent. J'étais avec Justin et Laurine, évidemment. Mais les évidences ne sont jamais des certitudes. Je pourrais bien avoir baisé avec n'importe qui, parlé latin au milieu de la seine ou volé un taxi. Bon, je vais pas en faire tout un fromage on verra bien ce que raconteront les autres.
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Muriel retournait toujours à son cours à l'HP qu'il vente, qu'il pleure ou qu'elle ait une partie de son emploi du temps disparu dans l'air de sa mémoire. Son assemblée de petits soldats couturiers étaient bien fidèles, eux. Il faut dire qu'ils n'avaient pas le choix. Alors elle maniait l'aiguille en pilotage automatique. La vielle dame l'interrogea du regard. Elle était si absente et raide, cette soudaine force d'attention vers elle la réveilla pour un centième de seconde. Elle propulsa son ouvrage à ses pieds dans un fracas froid qui firent se dresser des têtes au regard avide. Elle se confondit bien en excuses, rangea ses affaires et réussi même à s'éclipser sans se faire remarquer vraiment.

jeudi 11 novembre 2010

Le Cureteur à Piston - 5

"Ben alors choupinette! Tu m'as plantée samedi!
-Arf, excuse-moi Laurine.
-Alala! Allez, rentre va!"
Laurine poussa gentiment Muriel à l'intérieur du Trash Up. C'était un soir de semaine tranquille au bar, avec seulement quelques clients calmement absorbés par leur verre et la musique en demi sourdine. Une table ronde prenait presque toute la place au milieu de la pièce, formant un équilibre étrange avec le grand mur à posters et le bar sur la gauche. Justin qui y était accoudé fit un signe de la main à ses amies.
"T'inquiète pas pour lui, il est tout cuit. Encore une heure et il est à toi."
Muriel s'appliqua à pouffer comme si elles parlaient de tout à fait autre chose.
"Passons aux choses sérieuses. J'ai dû commencer sans toi.
-Oh c'est pas grave tu sais, t'es vraiment meilleure que moi à ce niveau. Et puis bon avec les cours de couture et tout.
-Tu rigole! C'est pas long, deux heures tous les deux jour! Et tu crois que je fais comment moi avec la fac?
-J'en sais rien
-Bon, tout cas ça à l'air de marcher fit Laurine avec un sourire entendu.
-Fais gaffe quand même Laurine...
-Oh ben ça va, si on a pas le droit de le prendre le droit quand on a notre âge, la liberté et la beauté! Et rappelle-toi qui a eu l'idée la première? Hein?
-Bien, j'admets. Et c'est vrai qu'il vaut mieux faire ça bien. C'est pour ça que je viendrais à la prochaine cérémonie.
-Coool. Et maintenant, vaquons à notre féminine tâche de petite sorcière ma chérie! "

Muriel plongea son nez dans sa bière pour faire voir ses cils battants à Justin toujours au bar. L'été dernier, c'était si loin déjà.
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Mercredi 21 octobre 2009

J'ai la tête dans le brouillard complet et j'arrête pas de repenser à cette nuit, bien que penser soir un grand mot dans ce cas. Parce que oui, Justin. Forcément. Parce qu'il y a, on dirait bien, le début de quelque chose d'inexplicable entre nous deux, la preuve, rien que la douceur de ses caresses me font crier. J'espère bien que derrière son visage apaisé, lui qui l'est si rarement d'ailleurs, il réalise un peu tout ça. Ça va être bien compliqué à gérer, en plus du reste. Rien à foutre, je suis heureuse et je vais rêver à lui toute la journée. Bon, je dois y aller, HP et réunion au centre. J'y crois pas, que le bénévolat m'oblige à me lever.
Laurine est encore partie dans son délire hier soir. On sait jamais si c'est pour se la raconter devant les autres ou si elle est vraiment sérieuse. Enfin, elle me laisse entendre qu'elle compte sur moi. C'est vrai que en réalité, en théorie, je m'y connais plus qu'elle, c'est depuis que j'ai eu le malheur d'en parler qu'elle en a fait une obsession. Le pouvoir de la femme, et tout le bordel. Et oui, on le sait bien, hystérie et sorcellerie, tout ça va ensemble n'est-ce pas, il faut juste faire la transformation. Ce serait en quelque sorte une juste continuation de tout mon travail, enfin la pratique. Parce que bon, la couture... Ça reste bien léger.
J'espère que ma mère le croisera pas quand il sortira de la chambre, ce serait gênant. Pour le moment, il dort comme un mort. Je commence déjà à me prendre la tête, on se sent si seule face à l'anéantissement d'un homme... Je lui laisse un mot ou pas? Pas le temps d'appeler Laurine pour lui demander la meilleure solution.
Il est si secret Justin, son silence m'excite et me repose en même temps. Comment je me suis débrouillé pour me retrouver avec un mec aussi vite, au mépris de la logique et des critères? Oui, je vais lui écrire les baisers qu'il ne sent pas sur un bout de papier, et m'envoler. Magie ou pas, je dois me retrouver seule pour ce soir, m'occuper de ma pomme.