jeudi 21 octobre 2010

Le Cureteur à Piston - 4

Lundi 19 Octobre 2009
Aujourd'hui c'était le deuxième cours de couture. Je leur apprend à faire un stupide short mon dieu que c'est long et pénible! Je dois dire qu'on s'amuse bien l'un dans l'autre, même que je commence à m'attacher, comme si je retournais un peu là-bas. J'avais un peu oublié cette sensation bizarre de l'hôpital avec son côté rassurant en même temps qu'inquisiteur. Bien sur, j'ai la chance de ne pas subir la réclusion, les infirmières sur le dos ni la sécheresse des rappels du couvre-feu des médocs et de la cantoche. Sans tous ces désagréments, je ne peux pas prétendre bien longtemps qu'on est dans le même bateau. J'ai du mal à parler d'eux ici. Ils se mélangent dans ma tête, et je pense aussi à tous ceux du monde du dehors qui sont en eux-mêmes. Et ceux qui sont du dehors dans ma tête à moi. Finalement, la bête impression qui revient: d'être ni de leur monde ni d'un autre, chacun dans le sien, comme on se dit tous dans les stations de métro. C'est ça notre réalité commune, quand on reconnait tous en même temps qu'on a rien à voir, c'est vrai y a rien à voir dans les stations de métro. De temps en temps une belle personne, mais que nous importe car elle passera son chemin, je passerais le mien. Le temps s'arrête pour certains et c'est toujours ce que je guette. Une goutte d'éternité dans le mouvement amplifié de ces groupes. Sans ces gouttes je ne suis rien. Je ne sais pas comment font les autres. Selon ma théorie, ils devraient faire pareil, sans rien dire. Mais il n'existe sans doute aucun moyen de vérifier cela. Je me surprend en train de marmonner et de souffler au rythme des phrase bancales que j'écris. M'en fout d'avoir mal au poignet. Décidément je me maquille trop en ce moment. Une fois qu'on a commencé il faut toujours plus. Demain je mettrais ma nouvelle robe, c'est le moment.

lundi 11 octobre 2010

Le Cureteur à Piston 3 bis


Vendredi 16 octobre 2009
Je sais plus pourquoi j'y suis allée habillée comme une pute en plus. J'étais comme les autres, et pourtant je me suis prise au jeu. Je n'avais même pas envie de partir. La bière donne de si beaux yeux à Justin. Une fois ou deux, j'ai bien cru qu'il allait m'embrasser, si seulement on avait eu plus de temps. Mais non, je dis n'importe quoi. Enfin, je vais pas me mettre à cracher sur le « trash up » parce que peut-être bien que grâce à cet endroit minable, je vais avoir une vie sociale. C'est ce qu'on me conseille en général, ça et d'écouter un peu les gens. Et effectivement il n'y a pas que du mauvais qui en ressort.


Muriel tenait un grand morceau de tissus bordeaux devant son visage. Dans la salle une assemblée d'adultes de toutes les corpulences était disposés quatre par quatre à des tables d'écoliers. Une seule chose les réunissait ici: ils étaient du côté du dedans, du côté de ceux qu'il faut réparer si on le peut. Ils étaient aussi divers que les passagers lorsque l'on monte dans une rame de métro mais ils avaient un commun dans le regard une chose qui passait aussi comme un orage dans les yeux de Muriel. Le regret, la violence, la peine, la peur et la fureur. Mais ils restaient tranquilles de comportement et découpaient leurs tissus chamoirés avec des ciseaux à bouts ronds, une hésitation et une précipitation particulière à chacun. Il y avait ce blond squelettique, dont on ne savait rien sinon qu'il avait laissé tomber un jour en thérapie de groupe qu'il était peintre. Depuis il ne parlait plus, sauf pour dire oui non bonjour ou juste pour sourire. Il y avait cette dame froide et digne, simple avec ses longs cheveux ordonnés et ses larges robes d'un autre âge. Celle-là avait une telle maitrise des torrents d'angoisses qui lui passaient dans les mains que tout son corps semblait sur le point de tourbillonner au milieu de la salle. Muriel ne pouvait pas cesser de la fixer du regard. Il y avait aussi une jeune femme au visage ingrat de mongolienne qui s'appliquait autant à essayer d'égayer Muriel et ses voisins de tables qu'à essayer de coudre. Muriel se demanda se qu'elle faisait-là et pour vérifier, elle alla se placer entre la dame et la mongolienne. Là, c'est à la femme d'un autre temps qu'elle adressa la parole n'osant pas troubler le bavardage de l'autre, qui après tout représentait en quelque sorte la seule source de vie de cette pièce. « Moi y compris » se dit Muriel accablée.
« Vous vous en sortez particulièrement bien. »
La dame se redressa avec un plissement des yeux pacifique pour que Muriel s'assoie près d'elle.
« J'ai souvent cousu dans ma vie, j'ai donc été enchantée lorsque j'ai appris que vous proposiez un atelier. »

Elle coupa le fil d'un coup sec puis brandit les ciseaux utilisés avec une férocité précise dans la direction de Muriel.
« Ma petite, vous pouvez me croire, il n'est pas loin, pas loin du tout. Ça va être exceptionnel, vous pouvez me croire. »
Muriel comprit d'un seul coup pourquoi cet oiseau de mauvais augure était là. Il valait mieux ne pas se laisser emporter par l'atmosphère empuantie de ces lieux qui sont clos par de bonnes raisons. Tant et tant de délires illimités, de grands plongeons dans le rêve sans fin de l'intérieur. Surtout, savoir rester à sa place, tout cela a beau être vrai, d'une certaine réalité disons, savoir voir le mur entre eux et soi. Après tout, Muriel avait autant besoin d'eux que eux d'elle, non?

vendredi 1 octobre 2010

Le Cureteur à Piston - 3

Muriel avait choisi de porter à ses risques et périls une jupe très courte et son manteau en fausse fourrure. Un truc ressortit du placard qui faisait fureur cette saison là. Elle aurait pu paraître vulgaire mais le sérieux de ses yeux empêchaient toute méprise, aucun homme n'osait en réalité l'importuner. Des volutes montaient des bouches d'égouts et la lumière des lampadaires était tamisée par l'humidité, on ne se serait pas cru au XXIe siècle dans la rue Beausire. Elle décrocha son casque d'i pod de ses oreilles sans abîmer sa coiffure crêpée et écrasa sa cigarette d'un geste étudié. Du bar s'échappait un ronronnement grave avec coups de caisse claire. Elle tira le bois de la porte avec une force surestimée, nerveuse et décidée. Cela faisait si longtemps.
La salle se révéla minuscule, comblée d'un bar et de tabourets dans tous les sens. Des jeunes devant, des jeunes derrière, et elle. Un garçon et une fille se jetèrent sur elle et l'embrassèrent. Justin apparut derrière eux et lui donna un verre pour qu'ils puissent trinquer ensemble. Son sourire malicieux tirait fort bien parti du décor qui le lui rendait bien. D'ailleurs il n'y avait pas de décor, juste un peu de patine pour qu'on eut pu se croire dans un pub, tout l'art avait été de changer le moins de choses possible. Muriel se trouva un tabouret et entreprit de se laisser pénétrer par cette ambiance qu'elle se persuadait d'être étonnante. Justin lui parlait et elle souriait. Elle n'osa pas lui dire qu'elle n'entendait pas, à cause du rock. Elle faisait semblant et fini par trouver ça réellement drôle en s'accrochant aux quelques mots qu'elle pouvait attraper au vol.
Le barman jonglait et ne prenait pas une seconde de repos, parvenant à actionner sa tireuse tout en contemplant d'un air satisfait et paternel sa toute nouvelle clientèle. Grand et maigre il avait plus d'âge que les gamins du bar et tolérait gentiment toutes les petites agitations qu'amènent l'alcool et la jeunesse, comme si il avait toujours nagé dedans, d'ailleurs c'était sûrement le cas.
Muriel se retrouva dehors avec Laurine, pour fumer une cigarette et taper la rue de leur bottes pour se réchauffer.
"-Ça va être un chouette endroit ici.
-Enfin un bar à nous! Au fait t'as vu Charles...
-Ouais ouais j'ai cru remarquer. Vous avez l'air content.
-Carrément. Bon, je me méfie un peu mais on fait déjà des petits projets et tout.
-C'est vraiment génial. Par contre je dois y aller là, je suis censée être demain matin à l'HP pour le premier cours de couture.
-Tu me fais trop rire toi! Leur donne pas tous nos trucs par contre hein poulette?
-Nan t'inquiète tout ce qu'ils veulent c'est se distraire un peu. C'est parfois bien plus utile que les docteurs les occupations inutiles et les bavardages. Enfin, ça l'a été pour moi.
-Ouais, enfin le top c'est quand même un mec!" et joignant le geste à la parole elle entreprit de rouler une grosse pelle au sien.
"-Bon j'y vais cette fois." conclut Muriel
Et, après avoir fait la bise à son Justin, elle s'en retourna, vissa son casque sur sa tête, et tourna les pieds, le visage dur.