dimanche 27 juin 2010

Claire dans la Nuit - 1

« Je ne connaitrai jamais cette fille », je me disais au moment où elle sauta du lit dans sa robe noire à dentelles. On faisait un bon commerce d’amitié, comme cela se produit parfois entre un garçon et une fille, mais elle avait l’art d’échapper à toute capture depuis nos premiers jeux à l’école, lorsque elle changeait les règles au beau milieu des parties de billes. « Sinon c’est pas marrant ». L’automne venait de pointer ses griffes mais nous avions encore droit à une petite portion de lumière avec un peu de brouillard, très approprié je me disais. Claire était ce genre de brune, qu'on sentait devoir rester éternellement jeune et sur laquelle l'injustice du temps planait comme un F16. Moi, eh bien, je n'étais qu'un jeune idiot qui se croyais déjà un homme, simplement parce que j'avais fourré ma queue dans cette petite cette nuit-là.
«-Bien bien, mon cher ami, me dit-elle en me jetant mon caleçon à la figure, il est temps que je fasse une apparition chez mes parents.
-OK poupée, tu me rejoins au dortoir? »
Je parlais du cimetière du village, je faisais le malin... On y passait toutes les soirées où personne ne nous en empêchait à y boire et à fumer. Dans la destruction consciencieuse qui caractérisait notre adolescence, nous pensions atteindre une sorte de « vérité » qui pourrait nous être précieuse, pour ne pas refléter le pâle paysage que nous présentaient nos aînés. Nous étions bien décidés à ne jamais honorer aucun de leurs futiles espoirs de relève.
Je faisais des photos, il fallait bien que je fasse mine d'une activité quelconque et je déguisais mon manque d'inspiration en volant la réalité. Par dessus tout, je préférais les morts: Ils ne demandent pas de droits et ne vous contredisent pas.

jeudi 17 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 7 et FIN


Elle plonge ses yeux dans la flamme et songe à comment ses pupilles à lui se rétractent en s’approchant. Elle voit rouge rouge elle boit la couleur comme un doux poison qui la réchauffe.


Elle est par terre, son verre est fini sous la lumière du lampadaire. Haha, elle est économique au moins. Elle tâtonne et sa main rencontre une lame. Elle la serre contre elle, la fait rouler sur son ventre, son cou, et l’embrasse avec ferveur. Sa présence est évidente et familière, son contact plus rassurant que toutes les mains qui se soient posées en étrangères sur elle. « Chère chère lame berce berce moi » murmure t-elle en la sentant au plus profond de son estomac.


Son lendemain c’est aujourd’hui. Enfin. Elle reste derrière la porte, assise en tailleur avec son disque préféré en boucle. Elle tient le couteau entre ses jambes repliées et se souvient. Du soleil sur la voiture, du rocher où ils lisaient, des silences et comment il est de dos dans la rue. Beau comme une fille comme on dit bêtement.


C’est lui.


Les mots sortent tout seuls à partir de maintenant. Les ailes ont repoussé, elle se dresse tendue et fière sa peau ne fait qu’un avec la pièce avec lui, avec la lame. Un flot de bouillasse se fraie un chemin entre ses lèvres crispées. Ce n’est pas elle, elle sait bien qui lui dicte ces belles saloperies d’horreurs sans nom. Disons qu’elle a apprit à la connaître, elle sait maintenant. Quelle tête il fait elle en a rien à foutre. Il pourrait très bien ne plus avoir de visage du tout, et c’est sans doute le cas. Comme c’est simple quand on se laisse guider, la force n’appartient à personne


La lame glisse la lame perce la lame déchire la lame hurle la lame saigne dans un éclat miraculeux. Elle peut même s’imaginer dans ce bain noir rouge bordeaux à la senteur puissante, avec un petit effort. Il gémit, il coule, il l’inonde et de soupir en soupir retrouve le silence du disque qui tourne toujours.


Comme elle en a rêvé de ce moment. Comme c'est de savoir ce que ça fait, de prendre tout, tout et n'être plus rien. Elle sourit les fleurs derrière la vitre n'auraient jamais du arriver. Elle a même envie de prier une herbe folle dans la main de crier à son seigneur de sauver son âme. Dessiner des croix sur le non visage de lui, elle rit fort incongrûment en battant les flaques de ses pieds maigres. Elle met son cuir, son bandana, ses docs, et sort le visage peint avec la vérité, en plein milieu de ce nouveau soleil écrasée par la sirène de ses rêves, et laisse un sillon sur son passage.


FIN

lundi 14 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 6

Il veut dormir. Incroyable, comme il s’éteint, paf d’un coup. Elle aussi elle aimerait avoir un bouton off, couper « freak out » d’un cut sans avoir à attendre la fin du morceau. Les voisins se crient encore dessus dessous ce soir. Elle s'en fout elle fait plus de bruit que les autres.


Deux quatre jours filent comme ça sans un rayon de soleil. La routine parvenue à un mécanisme aussi digeste qu’une purée d’hôpital. Un fruit une tranche de pain, un sandwiche, une compote, une demi portion de dîner. Une nuit sans abandon, les yeux écarquillés dans un hurlement muet.

Il se tire pour trois jours à Angers. Elle va pouvoir souffrir comme il faut. Elle marche marche, va nager dans le chlore anonyme et il pleut. Elle nettoie, et se tient devant la fenêtre, le visage peint en noir et habillée en sorcière une main levée pour voir si ça fait peur aux cons.

Le voisine se repointe avec son sale chien qui sent le paillasson. Elle lui fait du thé, du ceylan marron qui fait palpiter le cœur quand on a faim. Au fond c’est peut-être pas si mal qu’il y ait quelqu’un ici avec qui c’est clair que l’amour n’est pas en jeu.

« Alors vous en êtes où ?

-Eh bien, je vais nager, je m’occupe de l’appartement, on n'a pas cours en moment et mon copain est à Angers pour trois jour.

-Bien bien…

-Et vous ?

Moi je me pose des questions.

-Ah oui ? »

Elle s’en fiche : elle regard la pendule. Si elle déguerpit pas elle va être en retard pour son pseudo dîner et ça la met dans une panique folle.

« -Eh bien oui. Au sujet de Elle ».

-Ah

-Arrêtez de faire semblant, vous voyez bien qu’elle veut du sang. »

La voisine dit ça en dressant sa petite tête hirsute orange d’un coup. Vraiment effrayant.

Elle ne se démonte pas. Après tout il y a enfin quelqu’un qui prend le truc au bras le corps

« -Oui je me doute mais vous voulez que je fasse quoi ?

-Lui en donner évidemment ! »

Là elle est complètement réveillée. La faim lui donne ses ailes osseuses de chauve-souris et lui picote les cuisses. Sa langue est sèche et toute dure.

-Mais oui bien sûr c’est simple, j’ai envie de mourir, donc c’est mon sang qui doit couler, c’est bien ça ? Eh bien voyez-vous ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Maintenant, je vais dîner, puisque vous avez fini votre thé. »

La voisine reste tranquille et se lève en parlant à son caniche, se reconduit elle-même à la porte pendant qu’elle, elle garde les bras bien croisés en face. Une fois fermée, elle se lève ; met le verrou et se sert un marie-brizard-jus de cassis bien sucré. Elle se perche sur le pouf avec une bougie et savoure l’ivresse de l’hypoglycémie alcoolisée avec Huxley dans les mains. Elle ne comprend rien mais les mots qui dansent la rassurent.

jeudi 10 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 5



Essaye le plus fort possible de sentir ses mains, son souffle sans que son estomac se contracte. Elle essaye sa mémoire, encore, des éclipses des gouttes qu’il faisait suinter de son dos avec la petite lame de sa passion. Elle serre les dents et il tire ses vêtements sans voir ses cuisses se serrer et son souffle accéléré par la peur passe pour autre chose. Vite vite elle se replie. Crie " y a quelqu'un merde!" tape tape sur le matelas de ses poings et de ses pieds, se tord. Elle s’est faite avoir ça doit être ça.
En tout cas. Elle l'a vue. C'est pas lui. Elle est passée vite devant la glace en rigolant, en l'encourageant. Mais comme toujours ça ne fait que bruisser son oreille à elle.
« Arrête avec tes conneries ça t'amuse ou quoi? il n'y a rien ! »
Mais non il ne lui dit pas ça il contemple. Embrasse comme un forcené ses traits tirés déformés par les hurlements d'angoisse. Il la laisse se faire gonfler les paupières jusqu’à ce qu’elle se donne des yeux de momie, sans un seul mot en la contenant, la berçant.
« Mais merde !!! Parle moi à la fin ! J’en peux plus j’en peux plus j’en peux plus »
Elle se jette sur lui fait valser les oreillers piétine encore et encore le cœur mou de son amour. Elle court sur la moquette se griffe le prend le pousse . Puis elle se pose à l’autre bout du lit, là c’est d’elle qu’elle est dégoûtée mais elle doit changer de tactique. Les trucs qui font peur, il aime bien ça non ? C’est lui qui voulait, les premières fois, le sang, le cou serré et l’entendre se débattre, après tout.
La moquette est bleu pâle mais la lumière rouge toute crue. Des objets sont écrasés dans tous les sens. Les motifs de la couette s’étale dans leur splendide absurdité, à se demander où les personnes qui les ont dessinées avaient la tête. Des tonnes de livres incompris prennent la poussière dans des caissons en bois improvisés au fond d’un garage l’été dernier.
« Tu sais la voisine me l’a dit. »
Miracle
« dis quoi ? »
Une femme est morte ici, il y a deux ans. Je sais ça sonne conte d’horreur mal tourné. Mais ça explique peut-être bien tout ça. Je sens un truc pas clair ici je te jure. Tu vois pas toi que ça nous surveille tout le temps. »

Elle n’a pas besoin en fait qu’il lui réponde ni ne fasse des yeux différents de ceux qu’il lui sert quand elle le torture « oh oui je déteste ça mais vas-y parce que je t’aime, j’attendrai la fin, quoi que cela doive coûter ».

Quand elle voit ces yeux-là elle préfèrerait voir des orbites toutes creuses que ça, un chien, exactement comme ça. Un livre peuple plus une pièce que lui.

dimanche 6 juin 2010

La Petite Thanathoïde - 4

Dring. Elle se lève, ça ne tourne même pas. Ce n'est pas lui, c'est la folledingue de voisine et son petit chien. Elle au moins elle est maigre, on supporte de la voir. Elle ne demande rien d'autre que du thé et une oreille.

"Blablabla bla bla
et
Je sais tirer les carte moi, je vous le ferai un jour, et bla et bla et bla
Sacré vent"

"A croire que le printemps n'arrivera jamais cette fois"

Le couple d'à côté ils font un sacré raffut.

"ah oui je sais. Ils me font peur. L'autre nuit j'ai entendu un cri un coup et puis plus rien."

-et l'autre fois, celui qui avait son chien blessé, il y avait du sang dans le couloir enfin dans l'entrée, en bas. C'est les mêmes?"

-non. Ce n'est pas lui.

-ah bon."

-Vous savez c'est dûr mais je sais de quoi les gens vont mourir. A chaque fois que je les croise, il suffit que je les touche."

Elle lui dit ça comme ça. Sans attendre de réponse.

"je vous crois. je dis pas que je vous crois pas. »

"Au début c'était bizarre, quand j'étais une petite fille. La première fois j'ai vraiment cru que c'était ma faute. Mon oncle qui a eu un accident de voiture. Mais non c'était pas un rêve non plus. Ce qui est dur c'est qu'on peut rien changer à ça, prévenir ou des choses de ce style. Vaut mieux pas en parler."

Pourquoi ça tombe sur elle. Cette peau ratatinée et ces cheveux mal teints et cette odeur pourrie de vieux caniche (assez sage cela dit) qui se traîne sous la table et ces mots qu'on n'entend jamais en vrai. Et pourtant là, elle la croit. Elle ne demande pas. De quoi elle va mourir elle. Elle sait, elle décide et de toute façon elle s'en fout.

"Vous savez, j'ai déjà croisé votre petit ami.

-Ah »

Il ne rentre pas alors tant qu'à faire autant s'occuper, non. 18h45.

« Oui. Il est mignon. »

Les regards durs et désabusés se croisent un instant. Elle cesse de divaguer et se représente ses paupières tombantes, ses longs cils et les yeux gonflés, les épaules fines.

« mais je ne vous vois pas avec lui. Il a l’air absent.

-ah bon. Mais je ne crois pas

-Si une femme comme vous il lui faut un garçon avec du caractère »

Là ça l’énerve franchement. Elle tremble légèrement dans sa cheville.