lundi 11 octobre 2010

Le Cureteur à Piston 3 bis


Vendredi 16 octobre 2009
Je sais plus pourquoi j'y suis allée habillée comme une pute en plus. J'étais comme les autres, et pourtant je me suis prise au jeu. Je n'avais même pas envie de partir. La bière donne de si beaux yeux à Justin. Une fois ou deux, j'ai bien cru qu'il allait m'embrasser, si seulement on avait eu plus de temps. Mais non, je dis n'importe quoi. Enfin, je vais pas me mettre à cracher sur le « trash up » parce que peut-être bien que grâce à cet endroit minable, je vais avoir une vie sociale. C'est ce qu'on me conseille en général, ça et d'écouter un peu les gens. Et effectivement il n'y a pas que du mauvais qui en ressort.


Muriel tenait un grand morceau de tissus bordeaux devant son visage. Dans la salle une assemblée d'adultes de toutes les corpulences était disposés quatre par quatre à des tables d'écoliers. Une seule chose les réunissait ici: ils étaient du côté du dedans, du côté de ceux qu'il faut réparer si on le peut. Ils étaient aussi divers que les passagers lorsque l'on monte dans une rame de métro mais ils avaient un commun dans le regard une chose qui passait aussi comme un orage dans les yeux de Muriel. Le regret, la violence, la peine, la peur et la fureur. Mais ils restaient tranquilles de comportement et découpaient leurs tissus chamoirés avec des ciseaux à bouts ronds, une hésitation et une précipitation particulière à chacun. Il y avait ce blond squelettique, dont on ne savait rien sinon qu'il avait laissé tomber un jour en thérapie de groupe qu'il était peintre. Depuis il ne parlait plus, sauf pour dire oui non bonjour ou juste pour sourire. Il y avait cette dame froide et digne, simple avec ses longs cheveux ordonnés et ses larges robes d'un autre âge. Celle-là avait une telle maitrise des torrents d'angoisses qui lui passaient dans les mains que tout son corps semblait sur le point de tourbillonner au milieu de la salle. Muriel ne pouvait pas cesser de la fixer du regard. Il y avait aussi une jeune femme au visage ingrat de mongolienne qui s'appliquait autant à essayer d'égayer Muriel et ses voisins de tables qu'à essayer de coudre. Muriel se demanda se qu'elle faisait-là et pour vérifier, elle alla se placer entre la dame et la mongolienne. Là, c'est à la femme d'un autre temps qu'elle adressa la parole n'osant pas troubler le bavardage de l'autre, qui après tout représentait en quelque sorte la seule source de vie de cette pièce. « Moi y compris » se dit Muriel accablée.
« Vous vous en sortez particulièrement bien. »
La dame se redressa avec un plissement des yeux pacifique pour que Muriel s'assoie près d'elle.
« J'ai souvent cousu dans ma vie, j'ai donc été enchantée lorsque j'ai appris que vous proposiez un atelier. »

Elle coupa le fil d'un coup sec puis brandit les ciseaux utilisés avec une férocité précise dans la direction de Muriel.
« Ma petite, vous pouvez me croire, il n'est pas loin, pas loin du tout. Ça va être exceptionnel, vous pouvez me croire. »
Muriel comprit d'un seul coup pourquoi cet oiseau de mauvais augure était là. Il valait mieux ne pas se laisser emporter par l'atmosphère empuantie de ces lieux qui sont clos par de bonnes raisons. Tant et tant de délires illimités, de grands plongeons dans le rêve sans fin de l'intérieur. Surtout, savoir rester à sa place, tout cela a beau être vrai, d'une certaine réalité disons, savoir voir le mur entre eux et soi. Après tout, Muriel avait autant besoin d'eux que eux d'elle, non?

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