lundi 31 mai 2010

Le Petite Thanathoïde - 3



Elle marche pour aller en cours, la tête haute, derrière son maquillage ses lunettes de soleil, son bandana bleu et son cuir vert, toise ses contemporains ignobles. Elle s'assoit sur un banc, près d'un garçon qu'elle connaît, un qui n'est pas bavard, triste, mais pas à sa façon elle. Et pleure encore, encore et encore, devant témoin. Il ne dit rien. Personne n'a rien à lui dire cet hiver, on la regarde bizarrement mais ils n’osent pas. Ca arrive à la faire rire frénétique qu’ils soient trouillards comme ça de se laisser jeter cette merde à la face. Sauf son professeur qui aime ses poèmes, qui comprend pourquoi elle traîne avec les fossoyeurs et espionne les vieilles qui prient leur mari défunt. Il lui dit:

"Si Kurosawa avait réussi sa tentative de suicide à 20 ans, dans sa baignoire, il n'aurait jamais fait Dersou Ouzala."

Vingt ans, elle a vingt ans et c'est le pire âge possible, et elle n'a même pas eu la force de se jeter par la fenêtre hier soir. Elle pensait encore, que peut-être, il voudrait essayer de la sauver. Il l'a bien retenu, pour le principe mais il est usé, lassé de sa comédie. Alors il regarde par terre, se laisse insulter. C'est ça un homme? Elle se demande bien qui a pu lui fourrer cette idée dans la tête que les hommes étaient plus forts, étaient un soutien pour les femmes. Et là elle n'arrive même plus à se reformuler les ignominies qu'elle a pu lui dire sur la petite fille. Il refuse de la voir, il dit qu'il n'y a personne dans l'appartement. Mais il reste interdit et la force avec laquelle il voudrait étouffer ses cris est la force qui veut éviter les vagues, exactement ce qu'elle voudrait la merdeuse. La douceur c'est fini. Reste l’absence qu’elle a bien cherchée, le ventre de son mec qui enfle et ses côtes qui percent ses hanches.

Elle attend la fin du cours, les aiguilles dans l'œil. Les étudiants mous du bulbe pour qui le temps passe comme ça pouf, jouent à remonter leur montres pour lui faire peur. Les mains tremblantes, la bouche sèche elle attend tant qu'elle n'attend plus rien. Quand le générique arrive, aucune image n'a imprimé son cerveau tout entier tourné dans son intérieur visqueux. Elle se lève avec une force de damnée pour foncer à leur appartement. Faire des courses d'abord.

18h 07 Au début, les supermarchés la faisaient paniquer. Tant d'emballages, tellement de décisions à prendre devant cette débauche inadmissible. Les vieilles dames qui rêvent devant les brocolis et sont ravies de vous demander de leur attraper un paquet de sucre. Les alcoolos qui n'achètent que des bouteilles. Mais maintenant, elle ne fait plus ses courses avec lui. C'est son paradis privé. Elle traîne et regarde avec précision chaque boîte de biscuit. Jusqu'à ce que ça colle sur sa rétine, jusqu'à ce que le goût vienne à la bouche. Le truc c’est de faire durer ça le plus longtemps possible, et éviter de se faire passer pour une folle. Ou juste un peu, pour les faire douter.

Elle est couchée sur le dos. Regarde 19h20 sur le magnétoscope. Sur le dos ça fait moins mal. Elle souffle, essaye de rester en place. Elle sait bien que cette putain d'horloge n'a rien à ajouter évidemment sauf l'éternité contenue dans chaque seconde. Chaque habitant de l'immeuble rentre chez lui. Non c'est pas lui. Ce n'est jamais lui, c'est mieux comme ça.

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